
4 décembre 2020
Information et consultation du CSE dans le cadre d’un « projet industriel global » : premier épisode de l’affaire Veolia/Suez
Par arrêt du 19 novembre 2020, la Cour d’appel de Paris a confirmé en tous points l’ordonnance de référé du 9 octobre 2020 laquelle avait ordonné la suspension de la cession des actions détenues par Engie au sein des sociétés de Suez au bénéfice de Veolia tant que « les CSE de Suez n’auront été informés et consultés sur les décisions déjà prises et annoncées publiquement par voie de presse par Veolia et Engie ».
Pour comprendre cette affaire, il convient de faire un petit rappel des faits :
- Le 31 juillet 2020, Engie annonçait le lancement d’une revue stratégique sur certains de ses actifs en envisageant la cession de certains de ces actifs,
- Le 30 août 2020, Veolia annonçait via un communiqué de presse qu’elle souhaitait acquérir 29,99% des 32% des actions de Suez détenues par Engie. Dans ce même communiqué, Veolia précisait également qu’en cas d’acceptation par Engie de cette offre, elle avait l’intention ensuite de déposer une Offre Publique d’Achat (OPA) sur le reste des titres de Suez. Dans cette hypothèse, Veolia indiquait d’ores et déjà que la société Suez Eau France serait cédée au fonds d’investissement Meridiam qui s’était déjà engagée à réaliser cette opération.
A la suite de ce communiqué, Suez faisait savoir qu’elle s’opposait fermement à ce projet de rachat par son concurrent historique, Veolia.
Un droit d’alerte avait été ensuite déclenché par le CSE de l’UES de Suez afin d’obtenir un certain nombre de réponses de la part de la direction en sollicitant, ni nécessaire, Engie laquelle avait refusé d’intervenir dans le fonctionnement du CSE de Suez.
C’est dans ces circonstances que plusieurs CSE de Suez ont saisi le Tribunal judiciaire de Paris en référé dans le but d’obtenir les éléments d’information nécessaire sur cette opération.
Pour s’opposer, Veolia considérait que Suez n’avait pas à déclencher une procédure d’information et de consultation du CSE au titre du projet de cession de titres à hauteur de 29,99% sur la base de l’ancien article L. 2323-33 du Code du travail (abrogé par la loi n° 2017-1386 du 22 septembre 2017). En effet, l’alinéa 3 de cet ancien article L. 2323-33 du Code du travail prévoyait que l’employeur « consulte également le comité d'entreprise lorsqu'il prend une participation dans une société et l'informe d'une prise de participation dont son entreprise est l'objet lorsqu'il en a connaissance ». Revendiquant un réécriture à droit constant de cet ancien texte, aucune consultation préalable du CSE de Suez n’était donc requise, selon Veolia, malgré son communiqué de presse du 30 août dans la mesure où Suez ne faisait uniquement l’objet d’une prise de participation dans un premier temps.
Or, le Tribunal judiciaire de Paris ne suit pas Veolia dans cette argumentation en rappelant d’une part que cet ancien article L. 2323-33 du Code du travail avait été abrogé par la loi n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, laquelle a modifié les attributions et le fonctionnement du comité d’entreprise devenu CSE.
D’autre part, le Tribunal rappelait que cet ancien texte ne devait pas s’analyser comme privant le comité d'entreprise de ses attributions consultatives dans le cas où une prise de participation s'analysait, dans le même temps, en une modification de I' organisation économique et/ou juridique de I' entreprise.
En retenant le fait que l’opération, telle qu’envisagée par Veolia, s’inscrivait dans un « projet industriel global », le Tribunal a donc reconnu d’existence d’un trouble manifestement illicite compte tenu du refus de la transmission des informations par Veolia et Engie d’informations devant permettre à Suez de consulter ses CSE sur l’opération projetée au titre de la marche générale de l’entreprise, conformément à l’article L. 2312-8 du Code du travail.
Dans son arrêt du 19 novembre 2020, la Cour d’appel de Paris a ajouté une précision juridique intéressante en indiquant que « dès lors que Veolia a formalisé son offre d’acquisition des parts détenues par Engie dans le capital de Suez à hauteur de 29,9%, il apparait à l’évidence que cette opération, réalisée au profit du concurrent historique de Suez, dans un secteur d’activité où les deux groupes sont les principaux acteurs du marché, était de nature à affecter les orientations stratégiques et la gestion à venir de l’entreprise, avec un impact prévisible sur la politique sociale, justifiant l’expression collective de la représentation du personnel des sociétés du groupe de Suez ». Rappelons que l’information et la consultation sur les orientations stratégique de l’entreprise et la politique sociale font parties des thèmes de consultations récurrentes obligatoires qui sont d’ordre public.
La Cour d’appel de Paris a également permis au comité d’entreprise européen du groupe Suez de se joindre à l’action afin qu’il soit informé et consulté sur les questions concernant l’ensemble du groupe Suez.
Il est également intéressant de souligner que la Cour d’appel de Paris comme le Tribunal judiciaire s’étaient déclarés compétents et avaient reconnu l’intérêt et la qualité à agir des CSE de Suez alors qu’aucune procédure d’information et de consultation n’avait formellement été enclenchée.
Cette position va plus loin que celle de la chambre sociale de la Cour de cassation rendue en février et mai 2020 laquelle avait jugé que le président du Tribunal de Grande Instance devenu Tribunal Judiciaire ne pouvait être saisi par le CSE qu’avant l’expiration du délai de consultation, ce qui suppose qu’une procédure d’information et de consultation soit enclenchée. (Cass. soc. 27 mai 2020, n° 18-26.483 ; Cass. soc. 26 février 2020, n° 18-22.759)
Rappelons qu’à défaut d'accord collectif, le CSE doit rendre son avis dans un délai légal :
- d'un mois à compter de la mise à disposition des informations,
- deux mois en cas d'intervention d'un expert, ou
- trois mois en cas d'intervention d'une ou plusieurs expertises dans le cadre de consultations se déroulant à la fois au niveau du CSE central et d'un ou plusieurs CSE d'établissement.
À défaut d’avis explicite rendu dans ces délais légaux, le CSE est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif.
Ces même délais de consultation qui, avant être encadrés par loi, peuvent être décidés par accord collectif majoritaire voire par un simple commun accord informel entre l'employeur et le comité, comme jugé par la Cour de cassation dans un arrêt du 8 juillet 2020. (Cass. soc. 8 juillet 2020, n° 19-10.987)
Par principe et conformément aux articles L. 2312-15 et L. 2312-46 du Code du travail, le président du Tribunal judiciaire a uniquement la faculté de proroger les délais de consultation pour permettre la communication d’éléments d’informations manquants à la formulation de l’avis motif du comité. On pourrait donc s’interroger sur la base juridique du pouvoir du juge de suspendre une opération de cession de participation et a fortiori une OPA hostile.
Même si l’arrêt de la Cour d’appel de Paris suivant la position du Tribunal judiciaire de Paris dans cette affaire Suez/Veolia peut paraître étonnante, la procédure d’information et consultation du CSE n’est pas un nouveau levier d’action pour CSE pour bloquer ou empêcher la mise en œuvre d’une décision de la direction. En revanche, cette solution permet, d’une part, pour le CSE de gagner du temps, et d’autre part, de rendre effective la consultation du CSE dans un contexte un peu particulier. Par définition, l’employeur n’est pas partie à un projet d’OPA et n’a aucune information à ce sujet.