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1 décembre 2023Lecture 10 minutes

Nullité des actes passés par la société en cours de formation : la Cour de Cassation opère un revirement important

Il n’est pas rare qu’une société en cours de formation soit amenée à conclure des actes avant la date à laquelle elle acquiert la personnalité morale, c’est-à-dire antérieurement à son immatriculation. Au cours de cette période délicate, où la société n’existe qu’à un stade embryonnaire, les futurs associés sont notamment souvent amenés à conclure un bail afin que la société puisse disposer d’un siège social – condition en pratique indispensable afin de procéder aux formalités d’immatriculation de la société à naître.

La loi ne méconnait pas ces contraintes pratiques puisqu’il est prévu que « les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits » (article L. 210-6 du code de commerce).

Par le passé, la jurisprudence a interprété, de façon constante, le texte susvisé avec une grande rigueur. Les juges analysaient en effet de façon très formelle la lettre du contrat conclu par la société en formation et considéraient comme :

  • valables les actes conclus « par M. ou Mme X, agissant au nom et/ou pour le compte » de la société en formation ;
  • frappés d’une nullité absolue ceux conclus « par la société » non encore immatriculée – et donc dépourvue de personnalité juridique.

La différence entre ces deux formulations peut sembler ténue. Néanmoins les conséquences d’une mauvaise rédaction étaient radicales : la nullité de l’acte conclu. Une nullité absolue et donc invocable à tout moment, par tout intéressé et insusceptible de ratification ou validation ultérieure.

Cette position répondait à une certaine logique, rappelée par la Haute Autorité dans les trois arrêts d’espèce, à savoir protéger « d'un côté, le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l'avenir, d'une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur, et, de l'autre, la personne qui accomplit l'acte « au nom » ou « pour le compte » de la société, en lui faisant prendre conscience qu'elle s'engage personnellement et restera tenue si la société ne reprend pas les engagements ainsi souscrits » (Com. 29 novembre 2023, n° 22-12.865, n° 22-21.623 et n° 22-18.295).

La Cour de Cassation fait ici amende honorable et reconnait que « l'exigence selon laquelle l'acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu'il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résult[e] pas explicitement des textes. » Elle poursuit en expliquant que cette solution, purement prétorienne (ce qui explique d’ailleurs en partie pourquoi elle a si souvent été méconnue en pratique), produit « des effets indésirables en étant parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements, et a paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d'annulation de l'acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur. »

Il apparait donc à la Haute Autorité comme « possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas que l'acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits. »

Par ces trois arrêts, rendus le même jour, et bénéficiant de la publicité maximale puisque chacun publié au bulletin et publié au rapport, la Cour de Cassation opère un revirement total par rapport aux solutions antérieures (voir notamment 3e Civ., 5 octobre 2011, n° 09-72.855 ; Com., 21 février 2012, n° 10-27.630, Bull. n° 4 ; Com., 19 janvier 2022, n° 20-13.719).

Il apparait donc clairement que la Cour de Cassation a souhaité mettre fin à une situation qui rendait particulièrement précaire le sort des contrats passés par la société en cours de formation.

Peut-on pour autant considérer que cette solution nouvelle marque la fin de toutes les difficultés liées à la validité des actes conclus par la société en cours de formation ? Probablement pas.

Il appartiendra en effet désormais aux juges, et aux praticiens, d’examiner l’intention des parties à l’aune de « l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques » pour savoir s’il peut être considéré qu’un contrat a été valablement conclu, puis repris par la société postérieurement à son immatriculation.

En d’autres termes, là où l’analyse de la rédaction du contrat lui-même suffisait pour trancher définitivement la question de sa validité (avec toutes les difficultés que cela soulevait lorsque sa rédaction était imparfaite) il faudra désormais se pencher sur l’épineuse question de l’examen des éléments factuels et extérieurs au contrat (échanges écrits voire oraux) pour déterminer si l’acte passé peut être considéré comme valable.

Sans doute aurait-il été plus simple si le juge avait simplement accepté que, dès lors que les actes passés par la société en formation ont été repris par la société (conformément aux modalités imposées par l’article R. 210-6 du code de commerce), alors ils peuvent être réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société (conformément à ce qui est prévu à l’article L. 210-6 du même code). Accepter, en cas de reprise de l’acte par la société immatriculée, que la validité de l’acte soit définitivement scellée, du simple fait de l’accomplissement des formalités liées à la reprise (dont les modalités sont clairement énoncées par les textes), aurait en effet évité de devoir continuer à se livrer à l’examen, (sans doute trop) subtil, de la lettre exacte du contrat et, désormais, à l’examen, parfois bien aléatoire, des circonstances de fait entourant la conclusion du contrat.