
18 juillet 2025 • Lecture 10 minutes
Implications des nouvelles lignes directrices FCPA sur les enquêtes transfrontalières entre les États-Unis et la France
Cet article a été initialement publié dans Option Finance en juillet 2025, et est reproduit avec l'autorisation de l'éditeur.
Les nouvelles lignes directrices sur l'application du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) aux États-Unis ont considérablement modifié le cadre des enquêtes transfrontalières. Tout d’abord, le décret du président Trump du 10 février 2025 a suspendu l'application du FCPA pendant 180 jours, invoquant des préoccupations selon lesquelles l'utilisation historique de la loi outrepassait ses limites et portait préjudice aux entreprises américaines.
À la suite de cette pause, le Department of Justice (DOJ) – ministère de la Justice Américain –a publié le 9 juin 2025 de nouvelles lignes directrices encadrant l’application du FCPA qui recentrent l’usage du FCPA sur les cas de corruption affectant les intérêts nationaux, la sécurité et la compétitivité des entreprises américaines.
Désormais, le FCPA sera appliqué de manière plus ciblée, en complément d’autres lois, avec une approche plus favorable aux entreprises américaines agissant de bonne foi. Les entreprises, en particulier celles qui exercent leurs activités dans les secteurs jugés essentiels aux intérêts politiques des Etats Unis et les entreprises non-Américaines en concurrence directe avec des entreprises américaines devront anticiper un risque accru de poursuites.
Évolution des priorités en matière d'application de la loi et dynamique transfrontalière
Les lignes directrices du FCPA redéfinissent son application en se tournant sur la protection de la souveraineté des Etats Unis
Ces directives décrivent quatre facteurs principaux pour l'application du FCPA : (1) éliminer les cartels et organisations criminelles transnationales ; (2) protéger les opportunités équitables pour les entreprises américaines ; (3) promouvoir les intérêts de sécurité nationale ; et (4) cibler les violations graves. Le DOJ appliquera le FCPA avec d'autres lois, comme celles contre le soutien au terrorisme, en se concentrant sur les comportements nuisant à la compétitivité des entreprises américaines à l’étranger. Les entreprises non américaines semblent particulièrement visées, lorsque leurs actions ont un impact sur les intérêts américains. En l’absence d’intérêt direct, le DOJ s’en remettra aux autorités locales, comme le PNF, ce qui pourrait accroître les enquêtes menées en France, notamment contre des entreprises françaises.
Alors que les États-Unis se retirent du leadership mondial en matière de lutte anticorruption, les autorités françaises, notamment le PNF, devraient combler ce vide. Le PNF, déjà actif via les CJIP (équivalent français des DPA), est bien placé pour intensifier les poursuites, y compris contre des entreprises américaines opérant en France. Le principe de non bis in idem ne constitue pas un obstacle, et n’empêche pas toujours les autorités françaises d’engager des poursuites parallèles ou ultérieures, même après une procédure américaine.
La restructuration du DOJ et les nouvelles lignes directrices en matière de résolutions judiciaires transfrontalières pourraient affecter la coordination internationale
L'absence des États-Unis à une réunion récente du Groupe de travail de l'OCDE sur la corruption a soulevé des doutes sur son engagement en matière de coopération internationale en droit pénal des affaires.
Par ailleurs, la restructuration du DOJ – avec le démantèlement de groupes spécialisés et la décentralisation de l’application du FCPA vers les bureaux locaux du Procureur Général (USAO) – pourrait affaiblir les relations établies avec les autorités françaises. Les USAO ne disposent pas des liens étroits ni des canaux informels que l’unité FCPA et le Bureau des affaires internationales (OIA) avaient développés avec le PNF et l’AFA.
Cela pourrait entraîner des enquêtes transfrontalières plus formelles, lentes et moins coordonnées et avec un impact négatif pour les entreprises concernées. Il y’aurait également le risque de doubles sanctions dans le cadre de poursuites parallèles du PNF et du DOJ, notamment au regard des nouvelles lignes directrices du DOJ en matière de résolutions judiciaires transfrontalières, publiées le 5 juin dernier.
Ces nouvelles lignes directrices mettent l'accent sur l'indemnisation des victimes et ordonne aux procureurs de : (1) créditer les amendes payées aux autorités de poursuites étrangères (y compris le PNF) que si ces dernières ont de meilleurs mécanismes que le DOJ pour indemniser les victimes ; et (2) ne pas créditer les amendes payées aux autorités étrangères lorsque l’entreprise ne s’engage pas de manière significative à coordonner les résolutions parallèles entre les différentes autorités de poursuites.
Ces récents changements imposent aux entreprises une plus grande responsabilité dans la coordination des résolutions entre le DOJ et les autorités étrangères, le PNF y compris.
Principaux défis pratiques pour les entreprises dans les enquêtes transfrontalières entre les États-Unis et la France
- Loi de blocage française : La loi de blocage limite le partage de certaines informations avec des autorités étrangères en dehors des canaux formels, sous peine de sanctions pénales. Longtemps perçue comme symbolique, son importance s’est accrue avec l’élargissement des compétences du Service d'information stratégique et de sécurité économique (SISSE) en 2022 et l’attention renforcée des procureurs. Bien que le DOJ ait acquis une certaine expertise sur cette loi, ces connaissances risquent de se perdre avec le transfert des affaires FCPA aux USAO moins expérimentés.
- Traités d'entraide judiciaire : Avec le déclin de la coopération informelle, les autorités américaines pourraient davantage s'appuyer sur les processus complexes et lents des traités d’entraide judiciaires pour obtenir des éléments preuves situés en France. Les autorités / entreprises françaises, conscientes de cette complexité juridique, peuvent se servir de l'article 694-4 du Code de procédure pénale français pour retarder ou restreindre davantage les transferts d'informations vers les États-Unis, prolongeant ainsi les enquêtes ou entravant encore plus la capacité des États-Unis à recueillir des éléments de preuves pertinents.
- Règlement sur la confidentialité des données : Le Règlement Général de la Protection des Données de l'Union Européenne et le droit français sur la protection des données imposent des exigences strictes en matière de collecte et de transfert de données. Les entreprises doivent s'assurer que les bases légales pour le traitement et le transfert des données sont établies, et des enquêtes parallèles peuvent donner naissance à des exigences réglementaires contradictoires en la matière.
- Contraintes du droit du travail : Le droit du travail français protège rigoureusement les données des employés ce qui peut encore retarder les enquêtes menées par le DOJ.
- Protection des lanceurs d'alerte : La loi Sapin II, accompagnée de son décret d'application de 2022, soumettent à une stricte confidentialité l'identité des lanceurs d'alerte et de certaines informations connexes. Toute violation de cette règle peut entraîner des sanctions pénales en France et des poursuites civiles dans d’autres juridictions. Concilier ces exigences de confidentialité avec les obligations de divulgation imposées en matière de discovery aux Etats Unis devient de plus en plus complexe en l'absence de coordination entre les autorités françaises et américaines.
- Secret professionnel et privilege juridique : Le privilege américain est large, couvrant à la fois les avocats et les juristes d’entreprise, tandis que le secret professionnel français est plus restreint et ne s'étend pas aux juristes d'entreprise. Les documents couverts par le privilege aux États-Unis peuvent ne pas bénéficier des mêmes protections en France. Si des documents protégés sont transmis aux autorités françaises sans les précautions juridiques adéquates, cette transmission peut en pratique leur faire perdre leur protection dans les procédures judiciaires américaines.
- Reconnaissance des faits de justice négociée : Historiquement, les autorités américaines et françaises se sont coordonnées – y compris par le biais d'importantes négociations liées aux caractéristiques des DPA, des Non Prosecution Agreements (NPA) américains et des CJIP, afin d'harmoniser les sanctions et de tenir compte des pénalités financières imposées par l'autre juridiction. Le manque l'engagement américain pourrait amener les procureurs français à agir unilatéralement, ce qui entrainerait un risque de négociations judiciaires transfrontalières non coordonnées. À moins que les autorités étrangères ne soient disposées à réduire leurs sanctions pour tenir compte de la présomption du DOJ selon laquelle elles sont les mieux placées pour indemniser les victimes en vertu de la nouvelle politique de crédit, les entreprises faisant l'objet de procédures parallèles pourraient être plus susceptibles de faire face à des pénalités en double.
Stratégies d’entreprises pour naviguer dans ce nouvel écosystème
- Une équipe de défense coordonnée : Aujourd'hui, plus que jamais, les entreprises qui prennent connaissance d’allégations de corruption susceptibles de déclencher l'application des lois anticorruption américaines et/ou françaises sont encouragées à faire appel à des avocats aux États-Unis et en France. Faire appel à des avocats expérimentés dans les deux juridictions permet d'assurer que les plans d'enquête respectent les protections et exigences des systèmes juridiques.
- Des protocoles de collecte documentaire rigoureux : il est recommandé de tenir des registres détaillés des demandes émanant d’autorités, des transferts de données et des leurs justifications, notamment pour les alertes. La tenue de ces registres démontre la conformité aux exigences légales et fournit une documentation nécessaire si les autorités examinent ultérieurement les actions de l'entreprise.
- Une communication proactive avec les autorités : Lorsque les autorités interviennent, envisagez de dialoguer rapidement avec les autorités américaines et françaises pour expliquer les contraintes juridiques et préconiser l'utilisation de canaux formels tels qu’établis par les traités d’entraide judiciaire pour limiter les risques juridiques. Dialoguer rapidement avec les autorités pour expliquer les obstacles à une transmission d’éléments de preuve volontaire et la nécessité de recourir à des procédures formelles réduit les malentendus et favorise la coopération.
- Protection du secret professionnel et du privilege : Marquez les notes comme « document couvert par le secret professionnel avocat-client » et confiez les enquêtes sensibles à des avocats externes français sous la direction d'un avocat américain pour protéger les documents aux États-Unis et le secret professionnel en France. Avant de répondre au procureur, les sociétés doivent examiner tous les documents pertinents selon les règles américaines sur le « privilege » pour réduire le risque de renonciation au secret professionnel (« waiver »).
- Planifier des résolutions parallèles : Évaluer l'exposition aux lois américaines et françaises, même sans engagement actif du DOJ et négocier les conditions d’une transaction en prenant en compte d'éventuelles actions futures dans l'autre juridiction, en s’assurant que les droits des victimes sont pris en compte, permet de minimiser les risques de double sanction.
- Évaluer l’opportunité de s’auto-dénoncer : Lorsque les autorités françaises peuvent agir indépendamment du DOJ, l’autodénonciation en France peut aboutir à une réduction de l’amende et influer sur le dossier. À l'inverse, la divulgation prématurée au DOJ en l'absence de directives claires en matière d'application en limite les avantages, même si les structures d'incitation offertes par le DOJ sont en train d'évoluer sous la nouvelle administration américaine. Toute décision concernant l’autodénonciation doit être précédée d'une analyse approfondie, propre à la juridiction et adaptée aux faits, menée par des avocats américains et français.
Ces stratégies juridiques, procédurales et diplomatiques peuvent aider les entreprises à maintenir l'intégrité des enquêtes, à démontrer le respect des exigences de plusieurs systèmes juridiques et à négocier des transactions qui minimisent le risque de doubles sanctions dans ce paysage juridique incertain.