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11 décembre 2025

« Class actions » à la française : la réforme de l'action de groupe

La directive (UE) 2020/1828 du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives a imposé aux États membres de renforcer l’efficacité des actions de groupe. 

Le législateur français a saisi cette occasion pour repenser en profondeur le régime des actions de groupe. L’article 16 de la loi n° 2025-432 du 30 avril 2025, complété par les décrets n° 2025-653 du 16 juillet 2025 et n° 2025-734 du 30 juillet 2025, consacre un nouveau cadre procédural unifié pour l’action de groupe en transposant les exigences européennes et en refondant les dispositifs existants.

Introduite par la loi Hamon de 2014 et inspirée du modèle américain des class actions, l’action de groupe française était jusqu’alors limitée à des domaines spécifiques : consommation, santé, environnement, données personnelles et discriminations. Chaque domaine relevait d’un régime juridique distinct, avec ses propres règles et modalités.

Cette réforme, qui instaure un régime simplifié et élargi, vise à renforcer l’attractivité et l’efficacité de l’action de groupe (jusqu’à présent peu utilisée avec moins d’une quarantaine d’actions engagées depuis 2014). Elle introduit également une amende civile à visée dissuasive, destinée à sanctionner les manquements graves, et à financer les actions de groupe.

 

UNE ACTION DE GROUPE UNIQUE AU PERIMETRE ELARGI

Unification et universalisation de l’action de groupe

La réforme abroge tous les anciens régimes sectoriels existants, au profit d’un dispositif unifié, à l’exception de l’action de groupe en matière de santé, qui conserve un régime spécifique.

Le champ des fautes pouvant donner lieu à une action de groupe est désormais considérablement élargi : elle peut être engagée pour tout manquement d’un professionnel, d’une personne publique ou d’une personne chargée d’une mission de service public à une obligation légale ou contractuelle.

Ouverture d’une action directe contre l’assureur en responsabilité civile

Dorénavant, quel que soit le domaine concerné, l’action de groupe peut être introduite contre le responsable et/ou directement contre son assureur en responsabilité civile.

Elargissement des préjudices réparables

La typologie des préjudices réparables dépendait auparavant du régime spécial applicable à chaque action (préjudice patrimonial en droit de la consommation, préjudice corporel en droit de la santé publique, etc.). La réforme met fin à ces restrictions qui limitaient le recours à l’action de groupe selon la nature du préjudice.

Tous types de préjudices peuvent être à présent indemnisés : patrimoniaux, matériels, corporels ou moraux, quel que soit le manquement ou le domaine concerné.

Elargissement du cercle des victimes et des personnes habilitées à agir

L’action de groupe peut désormais être exercée pour un ensemble de personnes physiques, de personnes morales, ou les deux.

Le demandeur à l’action représente les intérêts des victimes. Il doit avoir qualité pour agir. La liste des entités habilitées à agir a été étendue. Un décret à venir désignera l’autorité compétente pour délivrer les agréments aux associations et en précisera les modalités.

Cet élargissement s’accompagne de garanties renforcées pour prévenir les conflits d’intérêts : le demandeur doit démontrer son indépendance vis-à-vis des intérêts en cause. En cas de doute, le juge peut exiger des garanties supplémentaires. Si un conflit d’intérêts est avéré, l’action de groupe est déclarée irrecevable ou l’accord conclu entre les parties n’est pas homologué.

A noter : le Ministère public peut également agir, soit comme partie principale pour obtenir la cessation d’un manquement, soit comme partie jointe dans toute action de groupe.

 

LE FINANCEMENT DE L’ACTION DE GROUPE PAR DES TIERS

Le nouveau régime autorise le financement d’une action de groupe par des tiers (third-party funding), sous réserve que ce financement ne confère aucune influence sur l’introduction ou la conduite de l’action, de nature à nuire aux intérêts des personnes représentées. Ce mécanisme vise à faciliter l’accès au juge pour les associations, tout en encadrant strictement les risques de conflits d’intérêts.

Le financement devra être publiquement déclaré, et ses modalités pratiques seront précisées par décret en Conseil d’État.

 

UN RÉGIME PROCEDURAL DIFFERENT SELON LA FINALITE DE L’ACTION DE GROUPE : ACTION EN CESSATION DU MANQUEMENT OU ACTION EN REPARATION

La demande reste formée, instruite et jugée selon les règles de la procédure écrite ordinaire. Toutefois, la réforme instaure des modalités procédurales distinctes, selon l’objectif poursuivi : cessation d’un manquement ou réparation d’un préjudice.

Particularités de l’action en cessation du manquement

La procédure est simplifiée : le demandeur n’a pas à prouver l’existence d’un préjudice.

Dès lors que le juge constate le manquement, il peut enjoindre au défendeur d’y mettre fin, dans un délai qu’il fixe, et ordonner toutes mesures utiles. Il peut notamment désigner un tiers pour assister à la cessation du manquement, sans avoir à motiver cette décision.

L’injonction peut être assortie d’une astreinte, désormais liquidée au profit d’un fonds dédié au financement des actions de groupe, et non plus au Trésor public.

Enfin, des mesures de publicité adaptées peuvent être ordonnées à la charge du défendeur pour informer les personnes concernées. En cas d’irrecevabilité ou de rejet de l’action, ces mesures peuvent être mises à la charge du demandeur. Elles ne peuvent toutefois être mises en œuvre qu’une fois la décision devenue définitive.

Particularités de l’action en réparation des préjudices

L’action en réparation des préjudices se déroule en trois phases.

Jugement sur la responsabilité - Le juge statue sur la responsabilité du défendeur à partir d’au moins deux cas individuels. En cas de responsabilité, il définit les critères d’appartenance au groupe, les préjudices indemnisables, la méthode de calcul ou le montant de l’indemnisation, les modalités de publicité de la décision et le délai d’adhésion au groupe (de 2 mois à 5 ans, contre un délai plus court auparavant).

Phase d’adhésion (opt-in) et d’indemnisation - les victimes répondant aux critères peuvent rejoindre le groupe pour obtenir réparation. Deux modalités de liquidation sont possibles : une liquidation individuelle, où chaque membre adresse une demande au défendeur, ou, par exception, une liquidation collective. Cette dernière suppose une demande du demandeur et l’accord du juge, et exclut les préjudices corporels. Le demandeur agit alors pour le groupe et négocie une indemnisation globale, soumise à l’homologation du juge.

Jugement sur la liquidation du préjudice - si des désaccords persistent, le juge statue sur les demandes individuelles non satisfaites ou, en cas de liquidation collective, homologue l’accord, ou à défaut d’accord, tranche sur les préjudices subsistants.

 

AUTRES ASPECTS PROCEDURAUX NOTABLES

Parmi les principales autres nouveautés introduites par le nouveau régime figurent :

  • Le rejet anticipé des actions manifestement infondées : sur le modèle du droit anglo-saxon (motion to dismiss), le juge peut désormais rejeter dès l’introduction de l’instance, par ordonnance motivée, une action manifestement infondée ou manifestement irrecevable. Cette ordonnance est susceptible d’appel.
  • La suppression de la mise en demeure préalable : cette exigence disparaît, sauf pour les actions en cessation fondées sur le Code du travail.
  • La suppression de l’obligation de présenter des cas individuels pour les actions en cessation : seules les actions en réparation doivent désormais s’appuyer sur des cas individuels, sous peine d’irrecevabilité relevée d’office par le juge.
  • La publicité des actions de groupe : un registre public des actions de groupe disponible en ligne est créé par le ministère de la Justice, pour renforcer la transparence et l’effet dissuasif de ces actions.

Certains points restent inchangés et s’appliquent désormais à toutes les actions de groupe :

  • Suspension de la prescription : l’action de groupe suspend la prescription des actions individuelles.
  • Autorité de chose jugée : la décision rendue s’impose aux membres du groupe dont le préjudice a été réparé et à toute autre action de groupe ayant le même objet.
  • Nullité des clauses restrictives : toute clause ayant visant à interdire la participation à une action de groupe est réputée non écrite.

 

LES JURIDICTIONS COMPETENTES POUR CONNAÎTRE DE L’ACTION DE GROUPE

La réforme introduit une compétence exclusive des « tribunaux judiciaires spécialement désignés » afin de renforcer l’expertise des juridictions et de garantir une jurisprudence homogène.

Le décret n° 2025-653 du 16 juillet 2025 précise cette compétence et fixe le siège ainsi que le ressort des huit tribunaux judiciaires habilités à connaître des actions de groupe civiles : Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Paris, Rennes et Fort-de-France.

Un tribunal judiciaire saisi d’une action de groupe alors qu’il ne figure pas parmi ces juridictions spécialisées pourra relever d’office son incompétence matérielle.

 

QUELLE PLACE POUR LA MEDIATION ?

La réforme confirme la médiation comme mode alternatif de résolution des litiges collectifs. À chaque étape de la procédure, le juge peut, avec l’accord des parties, désigner un médiateur pour rechercher un accord amiable sur l’indemnisation des préjudices. Bien que facultative, la médiation est encouragée pour favoriser une résolution rapide et consensuelle.

L’accord, même partiel, doit être homologué par le juge, qui s’assure qu’il protège les intérêts des membres du groupe. Une fois homologué, il devient exécutoire. Le juge peut refuser l’homologation en cas de conflit d’intérêts ou de protection insuffisante des victimes. L’accord doit aussi prévoir des mesures de publicité et les modalités pour en bénéficier.

 

CREATION D’UNE AMENDE CIVILE

Une des innovations majeures de la réforme réside dans l’introduction d’une amende civile, désormais inscrite à l’article 1254 du Code civil.

Cette amende civile peut être prononcée à la demande du ministère public devant les juridictions civiles ou à la demande du Gouvernement devant les juridictions administratives, lorsque deux conditions cumulatives sont réunies :

  • l’auteur du dommage a délibérément commis une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie indu(e) ; et
  • le manquement constaté a causé un ou plusieurs dommages à plusieurs personnes physiques ou morales placées dans une situation similaire.

Le montant de l’amende est proportionnel à la gravité de la faute et au profit retiré, dans la limite de cinq fois le profit illicite pour une personne morale.

Ce risque étant inassurable, la mesure se veut dissuasive. Les sommes perçues sont versées à un fonds dédié au financement des actions de groupe, renforçant ainsi la logique de justice collective sous-jacente à la réforme.

 

A PARTIR DE QUAND CETTE REFORME S’APPLIQUE ?

La réforme s’applique aux actions de groupe intentées depuis la publication de la loi, intervenue le 2 mai 2025. Toutefois, la sanction civile ne concerne que les instances dont le fait générateur de responsabilité est postérieur à cette date.

Les actions de groupe engagées avant l’entrée en vigueur de la réforme restent soumises aux anciennes dispositions.

Un régime transitoire est prévu : les personnes remplissant les conditions pour agir selon les anciens régimes conservent la possibilité d’introduire une action pendant un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur du nouveau dispositif.