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15 février 2023Lecture d'7 minutes

Déséquilibre significatif : récentes illustrations du contrôle judiciaire de l’équilibre des contrats

Les récentes décisions rendues en matière de déséquilibre significatif ont permis de préciser les modalités d’application des différents textes relatifs à l’équilibre des contrats et de clarifier le cadre d’appréciation du déséquilibre significatif.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a intégré dans le droit commun des contrats la prohibition du déséquilibre significatif dans le cadre d’un contrat d’adhésion. Jusqu’alors, l’interdiction du déséquilibre significatif était circonscrite au droit spécial : (i) le droit de la consommation, qui prohibe les clauses abusives créant « au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » et (ii) le droit des pratiques restrictives de concurrence, qui considère que le fait de soumettre ou de tenter de soumettre son cocontractant à des obligations créant un déséquilibre significatif est interdit.

La Cour de cassation a récemment tenté de clarifier l’application du droit commun en matière de déséquilibre significatif à un contrat de location financière (1). En parallèle, les dernières décisions adoptées sur le fondement du droit des pratiques restrictives de concurrence rappellent l’importance du contrôle judiciaire de l’équilibre des contrats commerciaux (2).

 

1) LA CLARIFICATION DU RÉGIME DE DROIT COMMUN EN MATIÈRE DE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 janvier 2022, le loueur avait, suite à plusieurs loyers impayés, mis le locataire en demeure de payer les sommes dues, en visant la clause résolutoire de plein droit prévue à l’article 12 des conditions générales. La Cour d’appel de Lyon avait considéré que ledit article devait être réputé non écrit, en soulignant son absence de réciprocité et le déséquilibre significatif en résultant, au regard de l’article 1171 du Code civil. Le loueur a formé un pourvoi devant la Cour de cassation contre cette décision en soulevant l’inapplicabilité de l’article 1171 du Code civil à l’espèce, eu égard à la qualité de commerçant des parties et en contestant le caractère déséquilibré de la clause résolutoire du seul fait de l’absence de réciprocité et sa sanction.

1.1. L’applicabilité par défaut de l’article 1171 du code civil à certains contrats entre commerçants

Après avoir indiqué qu’un contrat de location financière, conclu par les établissements de crédit et sociétés de financement n’était pas concerné par les dispositions du Code de commerce visant le déséquilibre significatif, la Cour de cassation s’appuie sur les travaux parlementaires de la loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance de 2016 et sur l’intention du législateur pour confirmer l’applicabilité, par défaut, de l’article 1171 du Code civil.

Dès lors, le droit commun du déséquilibre significatif s’applique à tous les contrats entre commerçants qui ne relèvent pas de l’article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce ainsi qu’aux contrats ne relevant pas du Code de la consommation. En l’espèce, le contrat de location financière ne relevait pas de l’article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce car les établissements de crédit et les sociétés de financement ne sont pas soumis aux textes du Code de commerce portant sur les pratiques restrictives de concurrence, pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l’article L. 311-2 du Code monétaire et financier.

1.2. La précision des critères d’appréciation du déséquilibre significatif d’une clause

La clause objet du litige a été considérée comme déséquilibrée par la cour d’appel du fait de son absence de réciprocité. La Cour de cassation censure ce raisonnement en considérant que le défaut de réciprocité de la clause résolutoire de plein droit pour inexécution du contrat prévue à l’article 12 se justifiait par la nature des obligations auxquelles étaient respectivement tenues les parties.

Ceci signifie que l’appréciation du caractère déséquilibré d’une clause ne peut reposer que sur son unilatéralité. Elle devra être complétée par l’analyse plus complète du droit ou de l’obligation qui ne fait pas l’objet d’une réciprocité, par l’utilisation d’un faisceau d’indices permettant d’identifier le caractère déséquilibré de la clause et l’importance de ce déséquilibre, car seul le déséquilibre « significatif » est interdit.

En outre, il est rappelé qu’il n’est pas interdit de prévoir une clause unilatérale au sein d’un contrat, dès lors que cette unilatéralité peut être justifiée par la << nature des obligations » auxquelles les parties sont tenues.

Par ailleurs, la Cour de cassation a également censuré la Cour d’appel s’agissant de l’étendue de la sanction qui ne devait viser que les dispositions considérées comme créant un déséquilibre significatif et non la clause dans son ensemble.

 

2) LE RAPPEL DU CONTRÔLE JUDICIAIRE DE L’ÉQUILIBRE DES CONTRATS COMMERCIAUX

Par une décision du 28 mars 20227, le tribunal de commerce de Paris a considéré que sept clauses du contrat entre Google et ses développeurs français visant à leur permettre de proposer leurs applications au sein de Google Play créaient un déséquilibre significatif au titre de l’article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce.

Cette décision fait suite à la saisine du tribunal par le ministre de l’Economie qui bénéficie du droit d’engager une action judiciaire contre un acteur économique sur le fondement des pratiques restrictives. Ce dernier soutient que sont litigieuses les clauses permettant à Google :

  • d’imposer une fourchette de prix au sein de laquelle les développeurs peuvent fixer les tarifs de leurs applications et de fixer la commission au bénéfice de Google à 30 % de chaque vente réalisée Google Play Store ;
  • de modifier unilatéralement le contrat ;
  • de suspendre unilatéralement la distribution d’une application ou l’accès à ses services ;
  • de mettre un terme au contrat à tout moment et sans délai, à la différence du développeur qui doit respecter un préavis de 30 jours afin de mettre un terme au contrat ;
  • d’utiliser librement l’ensemble des informations, notamment confidentielles, communiquées par les développeurs, sans que ces derniers ne bénéficient du même droit ;
  • d’utiliser les signes distinctifs des développeurs, sans que ces derniers ne bénéficient du même droit ;
  • d’exclure toute garantie et responsabilité de Google vis-à-vis des développeurs et des utilisateurs finaux.

Le tribunal de commerce de Paris rappelle les deux étapes de l’analyse devant être menée pour déterminer l’existence d’un déséquilibre significatif. Le Code de commerce sanctionne le fait << de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties >>. Pour être sanctionné, le déséquilibre doit donc résulter de conditions contractuelles n’ayant pas pu être négociées de manière effective par le co-contractant.

Sur ce point, le tribunal considère que Google, étant un << partenaire incontournable >> avec une << puissance incontestable >>, ne permet pas aux développeurs de négocier ou refuser les conditions contractuelles de Google.

L’analyse du déséquilibre significatif doit être menée selon une analyse globale in concreto de l’économie du contrat et du contexte dans lequel celui-ci est conclu, et non d’une analyse clause par clause.

A cet effet, le tribunal procède à une analyse du caractère déséquilibré de chacune des clauses, tout en vérifiant si Google démontre l’existence d’éléments susceptibles de rééquilibrer le contrat litigieux.

En l’espèce, l’analyse globale et concrète de l’économie des contrats en cause, appréciée au regard du contexte dans lequel ils ont été conclus, conduit le tribunal à retenir l’existence d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et lui enjoint de modifier ces clauses dans un délai de trois mois.

Cette décision s’ajoute aux autres décisions récentes concernant les pratiques restrictives de concurrence et illustre le pouvoir de contrôle du juge sur l’équilibre des contrats commerciaux ainsi que son pouvoir de sanction qui, au-delà de l’aspect pécuniaire, a également un impact sur l’image de l’entreprise sanctionnée.