
5 mars 2025
Nouveaux tarifs douaniers Canada/États-Unis : Est-il possible de renégocier les termes de ses contrats commerciaux au Québec ?
Le 1er février 2025, le Président des États-Unis, Donald Trump, a annoncé l’imposition de tarifs douaniers de 25 pour cent aux importations de produits en provenance du Canada, et de 10 pour cent aux produits énergétiques. Le Canada a quant à lui répliqué en annonçant que des contre-mesures seraient appliquées sur les importations de produits et ressources en provenance des États-Unis. En date du 4 mars, 2025, en l’absence d’entente contraire entre ces pays, ces tarifs douaniers et contremesures sont entrés en vigueur.
Les augmentations de coûts qui en résultera auront un impact sur les affaires des entreprises canadiennes, qui pourraient se retrouver parties à des ententes commerciales qui ne leurs sont plus profitables ou trop onéreuse à respecter. Devant le nouvel horizon économique et les pertes anticipées, plusieurs pourraient vouloir mettre fin à certains de leurs engagements contractuels ou vouloir forcer leur cocontractant à les renégocier. Toutefois, au Québec, la renégociation d’un contrat (incluant le réajustement des prix) n’est pas un droit absolu, en l’absence de dispositions claires obligeant les parties en ce sens.
La théorie de l’imprévision
Certaines juridictions reconnaissent la « théorie de l’imprévision » également dite « hardship », en vertu de laquelle les parties à un contrat ont le devoir de renégocier celui-ci, sous peine d’intervention du tribunal, lorsque, suite à un évènement imprévisible et hors de leur contrôle, l’exécution des obligations consenties est devenue excessivement onéreuse pour l’une des parties, créant ainsi un déséquilibre économique important entre elles. Un tel déséquilibre surviendra lorsque, dans le cas d’un contrat à long terme d’approvisionnement en énergie ou en matières premières par exemple, un tel évènement provoque une fluctuation importante du marché, augmentant drastiquement le coût de fourniture du bien, alors que le prix payé en contrepartie est fixé au contrat et reste le même. Dans cette situation, le respect du contrat par le fournisseur pourrait devenir un véritable péril financier pour lui, pouvant même le mener à la faillite et enrichir injustement le client. L’imposition des tarifs douaniers par l’administration Trump et les contremesures canadiennes sont susceptibles de mener à de telles situation, notamment au sein des chaînes de production. Selon la théorie de l’imprévision, les parties seraient alors obligées de renégocier le prix fixé au contrat.
Il est probable que l’apparente guerre économique et commerciale entre le Canada et les États-Unis soit un évènement imprévisible et incontrôlable dont les conséquences brisent effectivement l’équilibre de certains contrats, mettant en péril la santé financière de la partie désavantagée. Malheureusement, la théorie de l’imprévision est rejetée en droit québécois, le législateur ayant choisi expressément de ne pas la prévoir lors de la réforme du Code civil du Québec, comme l’a confirmé la Cour suprême du Canada dans Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, par. 93 et suivants. Ainsi, les contrats gouvernés par le droit québécois, qui ne prévoient aucune clause de réajustement du prix, de renégociation ou de hardship, ne sont pas suffisamment flexibles pour permettre de réajuster les obligations respectives des parties dont le respect du contrat est devenu un véritable péril financier pour l’une d’entre elles. Advenant que la partie avantagée refuse de renégocier, l’autre partie demeure tenue au strict respect de leur entente.
Refuser de renoncer aux avantages que lui procurera alors le contrat, malgré le changement imprévus de circonstances, ne constituera généralement pas un accroc à la bonne foi, ni un comportement déraisonnable. Le droit civil québécois place la liberté contractuelle au cœur du droit des contrats, ainsi, même une obligation de négociation de bonne foi prévue à un contrat ne pourra permettre d’exiger des résultats particuliers à l’issue des négociations, comme le rappelle la Cour d’appel dans une décision récente, 2177 23rd Avenue Holdings c. Pival International inc. 2025 QCCA 19 par. 63.
Bien que la théorie de l’imprécision ne trouve pas application en droit québécois, la Cour suprême ouvre la porte à la reconnaissance d’une obligation implicite de renégociation aux contrats de type « relationnel », tel ceux de franchise ou de joint-venture, lorsque cela est nécessaire afin de préserver la cohérence du contrat, combler à ses lacunes et s’inscrit dans l’économie générale de celui-ci (voir notamment Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, par. 72 et suivants).
Il n’en demeure pas moins que le risque de procédure en insolvabilité du cocontractant victime du déséquilibre devrait constituer un incitatif pour son cocontractant à accepter de renégocier les modalités du contrat afin de les rendre plus justes, le tout dans l’objectif de préserver la possibilité de gains mutuels pour laquelle le contrat a été initialement conclu. En effet, la faillite du cocontractant ou une proposition du consommateur risque de priver l’autre de tout gain en vertu du contrat, de lui causer des pertes et de le laisser sans recours. Il peut donc être à l’avantage du cocontractant avantagé de considérer la renégociation à l’amiable du contrat, à l’occasion de laquelle les parties pourraient aussi en profiter pour y prévoir des mécanismes permettant de mieux s’ajuster aux fluctuations futures des tarifs douaniers ou fluctuation du marché.
Vu le climat politique et économique actuel entre les États-Unis et du Canada, il est plus que jamais important pour les entreprises de réviser les conditions et modalités de leurs contrats, afin de bien connaître leurs droits et obligations. Les entreprises devraient notamment se familiariser avec les divers mécanismes d’ajustement de prix pouvant y être intégrés, ainsi que l’allocation du risque entre chacun des cocontractants, particulièrement quant à l’application des tarifs douaniers, afin de déterminer qui devra supporter les hausses tarifaires à venir. Si les parties ont choisi d’insérer une clause de hardship à leurs ententes, il sera primordial que sa validité soit analysée en détails de parts et d’autres, notamment comme elle pourrait être le salue de la partie désavantagée ou source de conflits dans le futur.
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