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4 décembre 2020

La nullité du licenciement : une brèche pour le salarié pour sortir du barème Macron ?

L'une des mesures phare de l’ordonnance 2017-387, du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, dite Macron, a consisté à créer un barème obligatoire d’indemnisation, applicable en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse. Les indemnités allouées sur la base de ce barème varient en fonction de la taille de l’entreprise et de l’ancienneté du salarié.

La création de ce barème a fait couler énormément d’encre et s’est heurtée à une certaine résistance de la part des juges du fond.

Parallèlement, l’ordonnance 2017-387 a créé une « brèche » en prévoyant que le barème Macron devait être écarté dans un certain nombre de cas, notamment, en cas de licenciement nul.

Dans un tel cas, la sanction est alors la suivante : si le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou si la réintégration est impossible, il a droit à une indemnité, non plafonnée, et ne pouvant pas être inférieure aux salaires des six derniers mois. A titre de comparaison, au sein du barème Macron, six mois de salaire correspondent au montant d’indemnisation auquel peut prétendre un salarié totalisant cinq ans d’ancienneté à l’issue de son préavis.

Avant la promulgation de ces dispositions légales issues à l’origine de la loi 2016-1088 (dite loi Travail), et modifiées par l’ordonnance 2017-387, la jurisprudence reconnaissait déjà au salarié le droit à une indemnité réparant le préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement au moins égale à celle prévue par l’article L. 1235-3 du code du travail (alors en vigueur), soit six mois de salaire.

L’ordonnance Macron est venu compléter la liste des cas de licenciement nul.

Ainsi, à ce jour, le barème d’indemnisation est neutralisé lorsqu‘un juge constate que le licenciement est prononcé en violation d’une liberté fondamentale (tel que le droit de grève, ou le droit d’ester en justice), ou en méconnaissance des dispositions relatives à :

  • la protection des victimes ou témoins de harcèlement moral ou sexuel ;
  • la non-discrimination ;
  • la protection du salarié suite à une action en justice en matière de discrimination ou d'égalité professionnelle femmes/hommes ;
  • la dénonciation d'un crime ou d'un délit (salarié dit « lanceur d’alerte »);
  • la protection des représentants du personnel ;
  • la grossesse, la maternité, la paternité, l'adoption et l'éducation des enfants ;
  • la protection des salariés ou agents des établissements et services sociaux et médico-sociaux lorsqu'ils ont témoigné de mauvais traitements ou de privations de soins ou relaté de tels faits ;
  • la protection des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles pendant les périodes de suspension de leur contrat de travail.

A noter, que le délégué à la protection des données (DPO), qui doit être désigné depuis 2018 en application des dispositions du RGPD, ne bénéficie pas d’une protection particulière contre le licenciement.

La jurisprudence a eu l’occasion de préciser les contours de cette protection et des différents cas de nullité.

En particulier, le fait qu’une action en justice ait été exercée par un salarié fait il obstacle à la mise en œuvre d’un licenciement concomitant qui porterait nécessairement atteinte à la liberté fondamentale d’agir en justice ? Fort heureusement, la Cour de cassation est venu répondre très récemment par la négative. Ainsi, dès lors que la lettre de licenciement ne mentionne pas parmi les motifs de rupture l'action en justice intentée par le salarié à l'encontre de l'employeur, la violation de la liberté fondamentale d'ester en justice du salarié ne se présume pas (Cass. soc., 4 novembre 2020, n° 19-12.367 et 19-12.369)

Autre contre feu potentiel : que se passe t’il lorsqu’un salarié, lanceur d’alerte ou qui se prétend harcelé, dénonce des faits de mauvaise foi ? Ou, plus simplement, si les faits dénoncés ne sont pas établis ?

Les conséquences d’une dénonciation de mauvaise foi ont été clairement posées par la jurisprudence : le salarié de mauvaise foi ne peut se prévaloir de la nullité de son licenciement.

Toutefois, il appartient à l’employeur de démontrer une telle mauvaise foi. Qui plus est, la mauvaise foi peut résulter, uniquement, de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce.

Cette solution posée par la Cour de cassation en matière de harcèlement (Cass. soc., 10 juin 2015, n° 13-25.554), et également en faveur de salarié ayant signalé une situation de maltraitance (Cass. soc., 28 mai 2019, n° 17-27.793), a été récemment étendue au cas du lanceur d’alerte.

Dans cette affaire, après avoir fait l’objet d’avertissements, un vérificateur vendeur est licencié pour faute grave pour avoir adressé au directeur de région des courriers dénigrant l’entreprise, et avoir, en outre, déposé une plainte contre l’un des responsables d’agence dans le but, selon son employeur, de déstabiliser cette structure.

Le salarié saisit alors les juges d’une demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif. Pour rejeter sa demande, la cour d’appel retient la mauvaise foi du salarié aux motifs que ce dernier a déposé plainte auprès de la gendarmerie pour des faits (qualifiés par le salarié d’escroquerie et d’abus de confiance), qui n’ont pas donné lieu à des poursuites pénales, et qu’il ne peut sérieusement plaider la bonne foi dès lors qu’il ne pouvait ignorer que cette plainte allait nécessairement déstabiliser son employeur.

La Cour de cassation casse et annule la décision rendue. Elle étend, ce faisant, au lanceur d’alerte les solutions retenues en matière de harcèlement, à savoir que la mauvaise foi de l’intéressé ne peut se déduire de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis (Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-13.593).

Ainsi l’absence de poursuites pénales ne permet pas de caractériser la mauvaise foi du salarié, et ce même si sa plainte a été de nature à déstabiliser l’entreprise.

A l’inverse, le licenciement pour faute grave est justifiée en cas d’accusation infondée de harcèlement moral alors que la cour d'appel a relevé que la salariée avait dénoncé à l'encontre de son supérieur hiérarchique, de façon réitérée, de multiples faits inexistants de harcèlement ne reposant, pour la grande majorité d'entre eux, sur aucun élément et dont elle s'est d'ailleurs avérée incapable de préciser la teneur, qu'il s'agisse des faits ou des propos dénoncés, s'en tenant à des accusations formulées pour la plupart en termes généraux, en ajoutant qu'il ne s'agissait pas d'accusations ayant pu être portées par simple légèreté ou désinvolture mais d'accusations graves, réitérées, voire calomnieuses et objectivement de nature à nuire à leur destinataire ainsi qu'à l'employeur, accusé de laisser la salariée en proie à ce prétendu harcèlement (Cass. soc., 28 janvier 2015, n° 13-22.378).

Autre question épineuse à laquelle la jurisprudence a dû apporter une réponse : quid du salarié qui dénonce un comportement, sans le qualifier expressément de harcèlement ?

Dans cette espèce, le directeur commercial d'une société avait été licencié pour faute grave, l'employeur lui reprochant, dans la lettre de licenciement, d'avoir notamment abusé de sa liberté d'expression et proféré des accusations diffamatoires dans un courriel dans lequel l'intéressé affirmait subir des comportements « abjects, déstabilisants et profondément injustes ». Estimant avoir été licencié pour avoir relaté des agissements de harcèlement moral, le salarié a réclamé en justice la nullité de son licenciement et sa réintégration dans l'entreprise. La Cour d’appel de Paris a accueilli ses demandes.

Elle a été censurée par la Cour de cassation au motif que le salarié n'avait pas dénoncé des faits qualifiés par lui d'agissements de harcèlement moral (Cass. soc., 13 septembre 2017, n° 15-23.045).

Le doute demeure quant à la portée véritable de cette décision. S’agit-il réellement de traiter plus durement le salarié qui dénonce des agissements circonstanciés sans les qualifier de harcèlement, que celui qui invoque cette qualification mais pour des faits in fine non établis ?

Il est possible que la portée de cet arrêt doive être limitée au cas où le salarié ne qualifie pas les faits de harcèlement, mais surtout, ne relate aucun fait précis, comme dans l’affaire précitée (« traitement abject, déstabilisant et profondément injuste »).

Autrement dit, la Cour de cassation jugerait-elle de même en présence d’un salarié qui relaterait des faits précis et circonstanciés de harcèlement, tout en omettant de les qualifier comme tels ?

Ce point reste à clarifier par la Cour de cassation.

Plus récemment, la Cour de cassation est également venue restreindre la protection accordée au jeune père contre le licenciement.

Pour rappel, la loi du 4 août 2014, pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, a créé une période de protection contre le licenciement en faveur des pères comparable à celle des mères, d'une durée de quatre semaines après la naissance (porté ensuite à dix semaines par la loi du 8 août 2016).

Dans cette affaire, un jeune père a été convoqué à un entretien préalable qui s’est tenu pendant la période de protection, mais son licenciement pour insuffisance professionnelle lui a été notifié cinq jours après l’expiration de ladite période. Le salarié a contesté son licenciement au motif que les hommes devraient bénéficier de l'interdiction des mesures préparatoires au licenciement pendant cette durée au même titre que les femmes, au regard l’article 10 de la directive 92/85 et de la jurisprudence de la CJCE (Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.036).

La Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement. Elle a considéré que l’article L 1225-4-1 qui accorde une protection au père ne met pas en œuvre la directive précitée. Celle-ci vise en effet les femmes « enceintes, accouchées ou allaitantes au travail », et non les hommes.

Le licenciement préparé pendant la période de protection, mais notifié à l’issue de celle-ci, n’est donc pas entaché de nullité.

Face à ces nuances élaborées au cas par cas par la jurisprudence, une seule certitude demeure : la nullité du licenciement est un bouclier qui ne protège pas seulement les femmes enceintes et les représentants du personnel, comme les employeurs peuvent trop souvent le penser, et il est plus que recommandé de vérifier la liste des cas de protection avant d’entamer une procédure de licenciement.

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