28 septembre 2021

Les évolutions de la jurisprudence sur la preuve du licenciement par l’employeur

Affirmanti incumbit probatio, la preuve incombe à celui qui avance l'existence d'un fait.

Conformément à cet adage latin, la charge de la preuve de la véracité des faits justifiant le licenciement d’un salarié incombe à l’employeur. Face à cette obligation, les entreprises peuvent envisager de mettre en place des systèmes de contrôles ou des procédures d’investigation leur permettant, par la suite, de se ménager la preuve des éléments motivant le licenciement du salarié.

Toutefois, même si les juridictions semblent apprécier plus souplement qu’auparavant le cadre auquel il convient de se conformer, les pouvoirs de l’employeur ne sont pas sans limite.

1. Les mesures d’enquête

Lorsque l’employeur est informé ou alerté de l’existence supposée de faits de harcèlement moral ou sexuel, dans le cas où le CSE exerce son droit d’alerte1, l’employeur n’a pas d’obligation de diligenter une enquête. Toutefois, compte-tenu tant de la jurisprudence2  que de la législation en vigueur, il est recommandé d’initier des investigations.

L’enquête devra être menée de manière confidentielle afin de protéger la dignité et la vie privée de l’ensemble des parties prenantes. Toutefois, cette exigence de confidentialité devra être conciliée avec la nécessité de pré-constitution de preuves en cas de contentieux.

A l’issue de chaque entretien, un compte-rendu d’audition devra être rédigé et, à l’issue de l’enquête, un rapport de synthèse sera préparé. Ce rapport constituera la preuve des investigations menées par l’employeur, des constats en résultant et permettra de justifier, le cas échéant, toute éventuelle sanction à l’encontre de l’auteur des faits de harcèlement.

Le rapport d’enquête, qui est ainsi la pierre angulaire des décisions subséquentes prises par l’employeur, se doit d’être aussi irréprochable que possible. Bien que la Cour de cassation ait récemment admis la recevabilité du rapport d’une enquête au cours de laquelle l’auteur présumé des faits de harcèlement n’avait été ni entendu, ni informé des investigations menées3, une telle solution ne saurait être privilégiée. Les juridictions du fond s’attachant à vérifier les conditions dans lesquelles l’enquête a été menée, il ne fait aucun doute que le soin apporté par l’employeur dans la réalisation de l’enquête lui permettra d’espérer une position favorable des juridictions.

2. Les mesures de contrôle des salariés dans la sphère privée

A l’heure des réseaux sociaux, les affaires relatives aux licenciements de salariés ayant, sur leurs comptes personnels, dénigré leur employeur ou publié des informations confidentielles se multiplient.

En 2018, la Cour de cassation avait considéré qu’un employeur ne pouvait pas licencier un salarié en raison de la publication par ce dernier de propos injurieux à l’encontre de la Direction sur son compte privé Facebook accessible seulement à des personnes habilitées4. Il en va, en revanche, autrement lorsque la publication est accessible au public5.

Par un arrêt du 30 septembre 20206, la Haute juridiction est venue préciser l’hypothèse dans laquelle la publication du salarié a été réalisée sur un groupe privé auquel avait accès un salarié de la Société. Le mode de preuve est jugé comme recevable et non déloyal dès lors que l’employeur n’a pas mis en place de stratagème et que la publication litigieuse a été spontanément communiquée à l'employeur par une autre salariée de l'entreprise qui était autorisée à accéder au compte Facebook privé de la salariée licenciée.

Quid d’un « like » ? A ce jour, les juridictions françaises n’ont pas encore eu à se prononcer sur une telle problématique. La jurisprudence exigeant un dénigrement de l’employeur par le Salarié, il n’est pas certain qu’un seul « like » puisse constituer un élément suffisant pour justifier un licenciement7.

3. Les mesures de contrôle des salariés dans la sphère professionnelle

De plus en plus nombreuses sont les entreprises qui disposent de systèmes de vidéosurveillance ou de traçage informatique. Ces systèmes qui ont principalement un objectif sécuritaire peuvent néanmoins, dans certaines limites, justifier le licenciement d’un salarié.

En principe, la mise en place d’un tel système de contrôle implique que cette mesure soit justifiée par l’intérêt de l’entreprise et proportionnée au but recherché et que l’employeur ait respecté ses obligations d’information à l’égard des salariés, du Comité Social et Economique. En outre, avant l'entrée en application du RGPD, une déclaration devait également être réalisée auprès de la CNIL.

Que se passe-t-il lorsque ces conditions de mise en place ne sont pas respectées ? Auparavant, la Cour de cassation considérait que le système de contrôle était un mode de preuve déloyal. En conséquence, si la faute du salarié à l'origine du licenciement était uniquement justifiée par ce système, le licenciement était nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse8. Toutefois, dans un récent arrêt en date du 25 novembre 20209, la Haute juridiction admet que l’absence de déclaration du système de contrôle n'entraîne pas automatiquement le rejet de ce mode de preuve. Les juges du fond sont alors invités à rechercher si l'atteinte portée à la vie privée du salarié était justifiée au regard du droit à la preuve de l'employeur et si elle était indispensable à l'exercice de ce droit.

L’appréciation de la régularité du mode de preuve du fait à l’origine du licenciement se fera donc, là encore, in concreto.


1 Article L. 2313-59 du Code du travail.
2
 Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-70.902 ; Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 18-10.551.
3
 Cass. soc. 17 mars 2021, n° 18-25.597 .
4 Cass. soc., 12 sept. 2018, n° 16-11.690.
5 Cass. civ., 1ère civ. 10 avr. 2013, no 11-19.530
6 Cass. soc., 30 septembre 2020, nº 19-12.058
7 Ce n’est toutefois pas la solution qui a été dégagée au Belgique par la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège (div. Liège, 3e ch.), 24 mars 2017, R.G. no 2016/AL/94, inédit).
8 Cass. soc., 8 oct. 2014, n° 13-14.991
9Cass. soc., 25 novembre 2020, nº 17-19.523

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