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29 septembre 2021

Zoom sur le transfert partiel d’entreprise et la divisibilité du transfert des contrats de travail en application de l’article L. 1224-1 du Code du travail

Sujet délicat, l'application de l’article L. 1224-1 (ex L. 122-12 pour les anciens) du Code du travail transposant la directive européenne n° 2001/23/UE du 12 mars 2001 relative au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprise, continue de susciter un contentieux dense tant au niveau national qu’au niveau européen.

Le principe posé par l’article L. 1224-1 du Code du travail impose le transfert automatique des contrats de travail des salariés auprès du cessionnaire lorsqu’une entité économique autonome est transférée. C’est un principe d’ordre public. Les salariés impactés ne peuvent pas refuser eux-mêmes un tel transfert de leurs contrats de travail, tout comme tout licenciement opéré par le cédant avant un tel transfert d’une entité économique autonome serait nul et de nul effet.

Toutefois, le texte de l’article L. 1224-1 du Code du travail n'envisage pas la situation des salariés ayant des fonctions partagées qui sont souvent impactées, à titre collatéral, par le transfert d’un entité économique autonome. Tel est souvent le cas des fonctions supports (finance, ressources humaines, informatique, juridique, services généraux, etc.) et de direction.

Dans un arrêt aussi inattendu que controversé rendu le 30 septembre 2020, la Cour de cassation a jugé qu’une secrétaire, travaillant dans une société d'avocats inter-barreaux, à 50% pour le cabinet principal et 50% pour le cabinet secondaire de cette structure, ne pouvait prendre acte uniquement de la rupture de son contrat de travail auprès du cédant, après que ce dernier eut cédé le cabinet secondaire et notifié à cette salariée le transfert de son contrat de travail au cessionnaire à hauteur de 50 % de son temps de travail. (Cass. soc. 30 septembre 2020, n° 18-24.881)

La Cour de Cassation opère ainsi un revirement de jurisprudence et rompt totalement avec sa position classique retenant la règle basée sur le critère de l'activité essentielle ou principale opposée à l'accessoire. (Cass. soc., 30 mars 2010, n° 08-42.065 ; Cass. soc., 21 septembre 2016, n° 14-30.056)

Dans cet arrêt du 30 septembre 2020, la Cour de cassation reprend textuellement et se rallie à la position de la Cour de justice de l’Union Européenne dans un arrêt rendu six mois plus tôt dans l’affaire ISS Facility Services NV. (CJUE, 26 mars, 2020, affaire C344-18, ISS Facility Services NV)

Dans un arrêt du 26 mars 2020, la Cour de justice a examiné une situation voisine à celle exposée à la Cour de cassation, à savoir celle d’une cession simultanée à plusieurs cessionnaires.

A cette occasion, la Cour de justice a étudié deux hypothèses possibles : la première consiste à transférer le contrat de travail en intégralité au cessionnaire auprès duquel le travailleur exerce ses fonctions à titre principal. La seconde hypothèse opère une scission du contrat de travail initial en deux contrats à temps partiel auprès des cessionnaires, au prorata de la part de travail consacrée à chaque activité.

Si la première hypothèse a le mérite d'assurer simplement le maintien des droits et obligations prévus, la directive, elle, présente néanmoins l'inconvénient de faire abstraction des intérêts du cessionnaire qui se voit transférer un contrat à temps plein pour une activité ne correspondant qu'à un temps partiel

S’agissant de la seconde hypothèse, la solution s'avère plus complexe à mettre en œuvre puisqu’elle implique nécessairement de diviser le contrat de travail existant. Or, c’est cette position qui a été choisie par la Cour de justice dans son arrêt ISS Facility Services NV.

La question sous-jacente qui se pose nécessairement est alors de déterminer le ou les critères de division : doit-on analyser en fonction de la valeur économique des activités - c'est-à-dire par exemple en fonction du montant du chiffre d'affaires, ou en fonction du lieu de travail ou du temps de travail effectivement consacré par les salariés impactés ? A notre connaissance, la solution n’est pas encore tranchée à ce jour. Mais, la Commission européenne qui a présenté ses observations à l'audience a préconisé un raisonnement en fonction du temps de travail consacré.

En pratique, le temps de travail n'offre pas toujours une référence pertinente pour diviser le contrat de travail : quid des salariés en forfait jours ou des cadre dirigeants ? Et, si le transfert de 40, 50 ou 60 % d'un contrat est concevable, un taux plus élevé (90 voire 99 %) est impraticable. Or, la détermination d’un pourcentage de répartition paraît inévitable pour déterminer le sort des mandats des représentants du personnel et pour calculer certains droits, comme la participation des salariés aux résultats.

Plus délicat encore, dans le cas où le cessionnaire exerce une activité concurrente avec le cédant, chacun arguera du respect de l'obligation de loyauté et de confidentialité à son égard. Sachant qu’en matière de règlement intérieur, la Cour de cassation a eu l’occasion de juger récemment que le règlement intérieur qui s'impose à l'employeur et aux salariés avant le transfert de plein droit des contrats de travail de ces derniers en application de l'article L. 1224-1 du Code du travail n'est pas transféré avec ces contrats de travail de sorte que le cessionnaire n'est pas tenu d'appliquer le règlement intérieur du cédant. (Cass. soc., 31 mars 2021, n° 19-12.289)

Face à ces incertitudes et dans l’attente de précisions complémentaires par la jurisprudence, il est d’autant plus important d’anticiper et faciliter la transition lors d’opérations de transfert partiel d’actifs, notamment par le biais de la négociation collective tripartite d’un accord dit de « transition » entre le cédant, le cessionnaire et les organisations syndicales représentatives au sein de la société cédant telle que prévue par l’article L. 2261-14-2 du Code du travail.

La Cour de justice reconnaît néanmoins une limite à cette solution : la division du contrat de travail ne peut pas servir à diminuer les droits du travailleur ou à détériorer immédiatement ses conditions de travail. A cet égard, la Cour a eu l’occasion d’écarter sur cette base l’application de l’article 3 de la directive 2001/23/UE puisque ce texte « s’oppose à ce que les travailleurs transférés subissent, par rapport à leur situation immédiatement antérieure au transfert, une régression salariale substantielle en raison du fait que leur ancienneté acquise auprès du cédant, équivalente à celle acquise par des travailleurs au service du cessionnaire ». (CJCE, 6 septembre 2011, aff. C-108/10, Scattolon)

Or, le passage d'une relation de travail unique à temps complet en deux relations de travail à temps partiel constitue nécessairement une modification du contrat de travail susceptible de dégrader les conditions de travail du travailleur.

Dès lors, la Cour de justice indique que si la scission du contrat est impossible ou bien si elle devait entraîner une détérioration des conditions de travail et des droits du travailleur, alors le contrat de travail pourrait être résilié et cette résiliation serait considérée « comme étant intervenue du fait du ou des cessionnaires, quand bien même le travailleur en aurait pris l'initiative ». En effet, l'article 4, § 2 de la directive du 12 mars 2001 prévoit que « si le contrat de travail ou la relation de travail est résilié du fait que le transfert entraîne une modification substantielle des conditions de travail au détriment du travailleur, la résiliation du contrat de travail ou de la relation de travail est considérée comme intervenue du fait de l'employeur » (sous-entendu, cessionnaire).

Si une résiliation du contrat doit avoir lieu en cas d'impossibilité de scission ou dégradation des conditions de travail du salarié, on déduit du texte de l’article 4 § 2 de la directive du 12 mars 2001 que le salarié qui prend l'initiative de la rupture ne peut jamais être considéré comme démissionnaire. A suivre ce raisonnement de la Cour de justice dans l’arrêt ISS Facility Services NV, une prise d'acte de la rupture par le salarié impacté devrait nécessairement produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ce, alors même qu’aucun manquement grave ne serait en soi reproché au cessionnaire lequel ne fait qu’appliquer la loi.

L’impossibilité de scission du contrat de travail ou la dégradation des conditions de travail du salarié n’est pas en soi un motif de licenciement pour le cessionnaire, sauf après un refus exprès d’une modification du contrat de travail. La Cour de cassation considère que le refus d’une modification du contrat de travail consécutive à un transfert d’entreprise donnant lieu à l’application de l’article L. 1224- 1 du Code du travail, constitue un motif économique de licenciement. (Cass. soc., 17 avril 2019, n° 17-17.880)

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