
31 janvier 2022 • Lecture d'9 minutes
Retour au présentiel : quelques difficultés pratiques
« Nous sommes en guerre. […] Toutes les entreprises doivent s'organiser pour faciliter le travail à distance ».
C’est par cette déclaration du Président Macron du 16 mars 2020 que le télétravail est entré dans une nouvelle ère en France. A compter de cette date, l’ensemble des employeurs de France était contraint de mettre en place le télétravail « partout où c’était possible ».
Le protocole sanitaire au travail a ensuite évolué à plusieurs reprises, faisant varier le nombre de jours de télétravail obligatoires au gré des fluctuations du taux d’incidence du Covid-19 et actuellement fixé à trois jours de télétravail obligatoires.
Alors que le gouvernement vient d’annoncer que le 2 février 2022 marquerait la fin des jours de télétravail obligatoires, les employeurs feront à nouveau face aux difficultés liées au retour au présentiel.
En effet, certains salariés, ayant difficilement vécu les confinements dans les grandes villes, ont profité de ces périodes de télétravail, total ou partiel, pour quitter leur lieu de résidence habituel citadin et se réfugier à la campagne.
Le mouvement est particulièrement visible en région parisienne, dans laquelle les salaires et le coût du logement sont plus élevés qu’ailleurs, et où la richesse de l’offre de transport en commun permet de s’éloigner, en distance, de Paris, tout en conservant un temps de trajet raisonnable.
Quelle n’a pas été la surprise des employeurs lorsqu’ils ont demandé aux salariés de revenir au travail et que ces derniers les ont alors informé que ce ne serait pas possible, ayant déménagé à plusieurs centaines de kilomètres.
Il est possible de classer les difficultés rencontrées en deux grandes catégories : une difficulté opérationnelle et une difficulté d’ordre économique.
D’un point de vue opérationnel, certains salariés n’étaient tout simplement plus en mesure de revenir travailler en présentiel lorsque celui-ci était total ou ont demandé à accoler les jours de présentiel, afin de limiter leurs déplacements.
D’un point de vue économique, les salariés ont sollicité le remboursement d’une partie de leurs frais d’abonnement TGV, ce qui peut représenter une charge financière conséquente, et a minima bien supérieure aux traditionnels abonnements de transport en commun mis en place par les villes.
Nombreux employeurs se sont offusqués d’une telle situation, évoquant une « rupture de confiance » ou une « modification de l’économie du contrat ».
Il reste des pistes offertes aux employeurs pour faire face à ces situations, compte tenu des principes juridiques en vigueur.
Le cadre juridique
En premier lieu, l’employeur ne peut pas interdire au salarié de déménager, quand bien même le salarié partirait à l’autre bout de la France.
Le salarié est en effet parfaitement libre de choisir son lieu de résidence (à l’exception de quelques situations très spécifiques) et l’employeur ne dispose d’aucun moyen de contrainte sur ce choix. La seule contrainte que l’employeur peut imposer est d’obliger le salarié à télétravailler en France, en raison des conséquences sociales et fiscales qu’un télétravail à l’étranger occasionnerait. Le salarié doit par ailleurs informer l’employeur de tout changement de résidence.
Par ailleurs, le Code du travail met à la charge de l’employeur le remboursement des « titres d’abonnements » souscrits par les salariés pour se rendre au travail, à hauteur de 50%.
La jurisprudence et le BOSS (Bulletin Officiel de la Sécurité Sociale) ont précisé que l’employeur était tenu de rembourser ces abonnements aux salariés, peu important la distance entre le lieu de travail et le lieu de résidence ou le coût de ces abonnements.
Ainsi, les salariés ayant déménagé sont légitimes à solliciter le remboursement de la moitié de leur abonnement SNCF, en plus de leur abonnement transport en commun de la ville. La SNCF s’est d’ailleurs positionnée sur le sujet, en proposant des abonnements annuels « télétravail » permettant d’effectuer 250 aller-retours par an (soit 2 à 3 aller-retours par semaine) ou 450 aller-retours par an (4 à 5 aller-retours par semaine) à un tarif 40 % inférieur au forfait annuel classique.
Dans ce contexte se pose la question de savoir si un salarié peut exiger de télétravailler.
Par principe, hors « circonstances exceptionnelles, notamment de menace de pandémie », la mise en place du télétravail suppose l’accord des deux parties, c'est-à-dire que l’employeur ne peut pas l’imposer aux salariés mais les salariés ne disposent pas, par principe, d’un droit au télétravail.
Le télétravail peut être mis en place de manière extrêmement simple, allant d’un simple accord individuel, formalisé par tout moyen (un simple email peut suffire), à une mise en place collective par accord collectif ou charte édictée unilatéralement par l’employeur.
Toutefois, lorsque le télétravail est formalisé de manière collective (accord ou charte), le refus opposé par l’employeur à la demande d’un salarié travaillant sur un poste télétravaillable doit être motivé (étant précisé que le lieu de résidence du salarié ne constitue pas un motif de refus valable).
Une fois ces principes juridique rappelés, examinons les moyens offerts aux employeurs pour concilier au mieux l’impact du télétravail sur leur activité.
Les bonnes pratiques
Si, comme nous l’avons vu, l’employeur ne peut contraindre ses salariés à résider à proximité de leur lieu de travail, l’organisation du travail peut rendre difficile un déménagement lointain.
En effet, la fixation des jours télétravaillés/télétravaillables relève, par principe, du pouvoir de direction de l’employeur, prérogative pouvant être aménagée au sein de l’accord collectif ou de la charte.
En conséquence, dès lors que l’employeur ne permet pas aux salariés de regrouper les journées de télétravail et/ou de les accoler aux week-ends, en imposant par exemple aux salariés d’être présents un jour sur deux, le déménagement des salariés dans une destination lointaine n’est pas une solution pérenne.
Il est difficilement tenable sur la durée pour un salarié ayant, par exemple, 2 heures de train pour rejoindre son lieu de travail, tel un Paris Bordeaux, d’effectuer plusieurs fois par semaine 4 heures de trajet quotidien, sans compter les temps de déplacement jusqu’à la gare.
Un déménagement lointain ne semble en réalité possible uniquement si le salarié peut effectuer l’aller-retour sur son lieu de travail une seule fois dans la semaine, quitte à loger sur place une nuit ou deux, à l’hôtel ou dans un appartement loué sur une plateforme.
En ce qui concerne la problématique relative au remboursement des frais de transport, les solutions intuitives à laquelle ont pensé certains employeurs étaient de refuser de rembourser ces frais ou de réduire la rémunération des salariés concernés, arguant que ce n’était pas aux employeurs de supporter cette charge financière supplémentaire.
Le refus de remboursement n’est tout simplement pas une option juridiquement valable, les textes et l’administration étant très clairs sur ce point.
La modification de la rémunération se heurte à deux principes juridiques :
- En premier lieu, la rémunération est un élément essentiel du contrat de travail qui ne saurait être modifiée unilatéralement par l’employeur, au prétexte que le salarié a unilatéralement augmenté le montant du remboursement des frais de transport ;
- Par ailleurs, au regard du principe « à travail égal, salaire égal », les salariés effectuant un même travail doivent percevoir la même rémunération et la rémunération des salariés en télétravail doit respecter ce principe.
Une première piste qui pourrait être envisagée serait de permettre aux salariés ayant un temps de trajet important (notamment lié à leur déménagement) de télétravailler de manière complète ou quasi complète. Cela pourrait notamment être justifié au regard de l’obligation de sécurité de l’employeur, afin de limiter le temps de trajet des salariés concernés. Cette solution pourrait toutefois être contreproductive, incitant au contraire les salariés à s’éloigner de leur lieu de travail.
Une seconde piste à explorer serait de compenser l’augmentation du coût lié au remboursement des moyens de transport par une grille de rémunération plus faible, justifiée par une disparité du coût de la vie.
En effet, la Cour de cassation juge depuis longtemps qu’une « différence de traitement établie par engagement unilatéral ne peut être pratiquée entre des salariés relevant d'établissements différents et exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elle repose sur des raisons objectives, dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence » (Cass. Soc. 21 janv. 2009, n° 07-43.452 à 07-43.464).
A ce titre, les juridictions du fonds, confortées dans leur analyse par la Cour de cassation, ont validé des grilles de salaire différenciées, établies unilatéralement par l’employeur, justifiée par une disparité du coût de la vie :
« Mais attendu qu'une différence de traitement établie par engagement unilatéral ne peut être pratiquée entre des salariés relevant d'établissements différents et exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elle repose sur des raisons objectives, dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence ;
Et attendu qu'ayant constaté que la disparité du coût de la vie invoquée par l'employeur pour justifier la différence de traitement qu'il avait mise en place entre les salariés d'un établissement situé en Ile-de-France et ceux d'un établissement de Douai était établie, la cour d'appel en a exactement déduit que cette différence de traitement reposait sur une justification objective pertinente » (Cass. Soc. 14 septembre 2016, nº15-11.386).
Il pourrait ainsi être envisagé d’établir des grilles de salaire différenciées, selon le nombre de journée de télétravail et le lieu de télétravail. Cette différence de salaire permettrait de compenser l’augmentation du coût des remboursement des moyens de transport, qui serait donc neutre pour l’employeur.
Pour les salariés concernés, la rémunération globale (salaire et remboursement de frais de transport) resterait égale et le déménagement dans une zone dans laquelle le coût de la vie est moins élevé conserverait un intérêt.
Ces solutions devront néanmoins être passées au crible des juridictions pour être considérées comme pérennes.
En conclusion
La contrainte de télétravail liée à la pandémie de Covid-19 a eu le mérite de faire bouger les lignes et de vaincre certaines réticences qui pouvaient exister.
Ainsi, un certain nombre d’employeurs a compris que s’opposer au principe du télétravail c’était prendre le risque d’aller à contresens d’une évolution sociale et a profité de l’occasion pour pérenniser le principe du télétravail au-delà de la crise sanitaire.
Toutefois, la mise en place du télétravail peut créer des difficultés opérationnelles ou modifier l’équilibre contractuel.
Prévenir ces situation doit s’effectuer le plus en amont possible, en les anticipant dans l’acte juridique mettant en place le télétravail (accord collectif, charte unilatérale).
La mise en place du télétravail effectuée à marche forcée, dans les circonstances particulières d’une pandémie, n’a souvent pas permis aux entreprises de le faire. La pérennisation du télétravail au-delà de la crise sanitaire doit être l’occasion de remettre la situation à plat, au besoin en se faisant accompagner.