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19 juin 2022Lecture d'7 minutes

Convention collective « Syntec »: un florilège de précisions de la Cour de cassation

(Cass. soc., 30 mars 2022, n° 20-15.022 et n° 20-17.230)

La Cour de cassation a récemment apporté un florilège de précisions aux questions qui pouvaient se poser au sujet de la convention collective « Syntec » qui est applicable aux salariés des Bureaux d'Études Techniques, des Cabinets d'Ingénieurs-Conseils et des Sociétés de Conseils.

En l’espèce, un syndicat a assigné devant le tribunal de grande instance une société prestataire de service en matière informatique de diverses demandes relatives notamment au minimum salarial nécessaire en matière de convention de forfait en heures, aux cotisations employeur minimales en matière de prévoyance, aux cotisations de retraite complémentaire et aux frais de déplacement des salariés.

Les multiples apports de cet arrêt portent essentiellement sur la durée du travail et les frais de déplacement (I.) ainsi que sur la prévoyance et la retraite (II.).

Temps et déplacements

Forfait annuel en heures

Afin de pouvoir valablement conclure une convention individuelle de forfait en heures, un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, un accord de branche doit le prévoir (C. trav., art. L. 3121-63).

La convention collective « Syntec », parmi différentes modalités de gestion du temps de travail, prévoit une modalité n° 2 de « réalisation de missions » : il s’agit d’un forfait en heures sur la semaine avec un plafond annuel de 219 jours. Il n’est ouvert qu’aux ingénieurs et cadres avec une rémunération annuelle au moins égale au plafond de la Sécurité sociale.

En l’espèce, un accord avait été conclu au sein de l’entreprise qui aménageait différemment la modalité de « réalisation de missions » : il prévoyait un nombre de jours de travail inférieur (entre 218 jours et 214 jours en fonction de l’ancienneté). Par ailleurs, l’accord d’entreprise soumettait à cette modalité les ingénieurs et cadres bénéficiant notamment d’un salaire annuel au moins égal à 85 % du plafond annuel de la sécurité sociale et à 115 % du minimum conventionnel de leur catégorie.

En d’autres termes, l’accord d’entreprise permettait d’appliquer la modalité n° 2 à des ingénieurs et cadres dont le seuil de rémunération était inférieur à celui prévu par l’accord de branche.

Ce faisant, le syndicat requérant faisait ici le reproche à la société de ne pas avoir respecté le minimum salarial pour les salariés en modalité 2 prévue par la convention Syntec.

La Cour de cassation rejette cette prétention : selon elle, l’accord d’entreprise n’avaient pas pour objet de fixer la rémunération minimale des salariés et il primait sur l’accord de branche en matière d’aménagement du temps de travail.

Il découle de cette primauté que l’accord d’entreprise peut prévoir en matière de forfait sur l’année des conditions d’application différentes de celles prévue par un accord de branche.

Contreparties au temps de déplacement

Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du travail n'est pas, en droit français, un temps de travail effectif (C. trav., art. L. 3121-4, al. 1er). Il n’est donc pas rémunéré.

Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. Cette contrepartie est fixée par accord d'entreprise ou, à défaut, par accord de branche.

En l’absence d’accord collectif, la contrepartie est fixée unilatéralement par l’employeur après consultation du comité social et économique (C. trav., art. L. 3121-8, 3°).

Deux sujets sont évoqués dans l’arrêt commenté.

1. Le premier concerne les salariés itinérants, c’est-à-dire ceux pour lesquels on ne peut définir de lieu habituel de travail. La difficulté consiste donc à déterminer le lieu habituel de travail : celui-ci est apprécié in abstracto par la jurisprudence. Ainsi, le juge recherche ce qu'est dans la région concernée le temps de trajet normal d'un travailleur se rendant de son domicile à son lieu de travail habituel et le compare avec les temps de trajet accomplis par le salarié concerné (Cass. soc., 7 mai 2008, 07-42.702).

L’arrêt commenté précise que dans le cas des salariés itinérants, le lieu habituel de travail est le lieu où se situe « l’agence de rattachement » du salarié itinérant « si tant est que celle-ci se situe à une distance raisonnable de son domicile, de façon à ce que le temps de trajet ainsi déterminé soit équivalent au temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail d'un salarié dans la région considérée ».

2. Le second sujet a trait au montant des contreparties au temps de déplacement. En l’espèce, l’entreprise avait prévu unilatéralement une « franchise », c’est-à-dire un « temps de déplacement excédentaire non indemnisé, de près de 2 heures ». Autrement dit, ce n’est qu’à partir d’un temps de trajet supérieur à deux heures, qu’une contrepartie pouvait être accordée par l’entreprise aux salariés concernés.

La Cour de cassation affirme ici que le juges du fond peuvent apprécier souverainement si les contreparties en matière de temps de déplacement sont conformes aux dispositions du Code du travail. Elle a admis en l’espèce que le juge puisse, lorsque la contrepartie est dérisoire, ordonner à l’employeur de mettre en place un système de contreparties déterminées, région par région, en fonction du temps normal de trajet entre le domicile du salarié et le lieu habituel de travail qu’il a défini.

Prévoyance et retraite

Intégration des cotisations frais de santé dans le calcul des cotisations prévoyance obligatoires

L’arrêt commenté répond à une question longtemps débattue et aux enjeux financiers conséquents.

Les employeurs ont l’obligation de verser une cotisation minimale d’un montant de 1,5 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond de la Sécurité sociale : il s’agit de l’obligation dite du « 1,50 TA » (ANI du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres, art. 1). L’objet de cette cotisation (instituée à une époque où l’espérance de vie était bien inférieure) est de financer le risque décès.

La méconnaissance de cette obligation par une entreprise est lourdement sanctionnée : celle-ci peut être alors tenue de verser aux ayants droit du salarié décédé une somme égale à trois fois le plafond annuel de la Sécurité sociale en vigueur lors du décès (soit 123.408 euros en 2022).

Or, depuis le 1er janvier 2016, l’employeur doit instituer une couverture collective des frais de santé.

La question qui se posait dans l’arrêt commenté était notamment de savoir si la cotisation patronale finançant les frais de santé pouvait être prise en considération dans le cadre de l’obligation « 1,50 TA ».

La Cour de cassation répond par l’affirmative : les frais de santé peuvent être pris en compte pour apprécier le respect de l’obligation « 1,50 TA ». Ainsi, pour vérifier le respect de l’obligation de cotisation à hauteur de 1,50 %, il doit être tenu compte de la cotisation patronale frais de santé.

L’obligation dite « 1,50 TA » sera respectée, selon la Cour de cassation, si l’employeur affecte en priorité la cotisation 1,50 % à la couverture décès. En d’autres termes, il suffit que plus de 0,75 % de la cotisation de 1,50 % à la charge exclusive de l’employeur soit affectée à la couverture décès.

Le droit d’action d’un syndicat en matière de cotisations de retraite complémentaire

Un syndicat peut agir en défense de l’intérêt collectif de la profession qu’il représente, mais il ne peut agir pour défendre les intérêts individuels propres d’un salarié. Il ne peut pas, par exemple agir en requalification d’un CDD en CDI.

En l’espèce, le syndicat agissait en justice aux fins notamment d’obtenir la régularisation de salariés assimilés aux cadres au regard du paiement de cotisations de retraite complémentaire.

Selon la Cour de cassation, le syndicat pouvait obtenir réparation de l’atteinte portée à l’intérêt collectif, mais cela ne lui conférait pas le droit de poursuivre la régularisation de la situation des salariés concernés par cette irrégularité.

L’arrêt commenté s’inscrit donc dans la continuité d’un autre récent arrêt qui exclut tout droit d’action à un syndicat en ce qui concerne la sphère du contrat de travail puisqu’elle ne ressort pas de l’intérêt collectif de la profession (Cass. soc., 15 déc. 2021, n° 19-18.226).

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