|

Ajouter un favori pour commencer

19 juin 2022

Conventions de forfait en jours : quelle conciliation entre la nécessaire autonomie du salarié et les contraintes opérationnelles de l'employeur ?

Initialement réservé aux cadres autonomes, le forfait en jours a été ouvert par la loi du 2 août 2005 à tout salarié, y compris non cadre, dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui dispose d’une réelle autonomie dans l’organisation de son emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui lui sont confiées.

L’autonomie du salarié a ainsi été érigée comme la condition d’éligibilité principale pour qu’un salarié puisse bénéficier d’une convention de forfait en jours.

Souvent considérée, en conséquence, comme un gage de liberté par les salariés, l’organisation du temps de travail sous forme d’un forfait en jours ne saurait toutefois offrir une liberté absolue au salarié, qui ne peut fonctionner indépendamment des contraintes de la structure au sein de laquelle il travaille et reste soumis au pouvoir de direction de son employeur.

C’est ce que vient préciser la Chambre sociale dans un arrêt du 2 février 2022 (n° 20-15.744) par le biais d’un attendu de principe particulièrement limpide: « une convention individuelle de forfait annuel en jours n'instaure pas au profit du salarié un droit à la libre fixation de ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l'organisation du travail par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction. »

Solution déjà adoptée pour les salariés soumis à des forfaits en heures (Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-11.904), cet attendu de principe inédit pour les salariés soumis à des conventions de forfaits en jours apporte des précisions bienvenues pour les employeurs en matière d’organisation du temps de travail, particulièrement dans le contexte actuel où la demande de flexibilité de la part des salariés s’agissant de l’organisation de leur travail est en pleine expansion.

Dans cette affaire, une clinique vétérinaire avait établi un planning de présence par journées ou demi-journées pour une vétérinaire bénéficiant d’une convention de forfait en jours afin de pouvoir organiser les opérations au sein de la clinique. La vétérinaire ne respectant pas le planning unilatéralement établi par son employeur, l’employeur décidait de licencier celle-ci pour faute grave en raison de ses absences répétées lors des interventions prévues avec les clients. Pour contester la décision de la clinique, la salariée se prévalait de sa convention de forfait en jours et avançait qu’elle était libre de l’organisation de son temps de travail, de sorte qu’elle ne pouvait être sanctionnée pour ses absences.

La Cour de cassation ne suit pas cette analyse et considère, au contraire, que « la fixation de demi-journées ou de journées de présence imposées par l'employeur en fonction des contraintes liées à l'activité de la clinique vétérinaire pour les rendez-vous donnés aux propriétaires des animaux soignés n'avait jamais empêché la salariée d'organiser en dehors de ces contraintes, sa journée de travail comme bon lui semblait et qu'elle était libre de ses horaires et pouvait organiser ses interventions à sa guise ». En conséquence, « la cour d'appel a pu en déduire que, nonobstant la convention de forfait en jours dont elle bénéficiait, l'employeur était fondé à reprocher à l'intéressée ses absences. »

Ainsi, la Cour reconnaît que le forfait en jours ne s’oppose pas à la présence obligatoire du salarié lors de certaines plages fixées par l’employeur, en raison notamment de contraintes opérationnelles liées à l’activité de l’entreprise, comme par exemple des contraintes liées à la clientèle.

En effet, la condition d’autonomie du salarié n’implique pas que celle-ci soit illimitée : le salarié reste soumis au pouvoir de direction de l’employeur lui permettant d’exiger la présence du salarié lorsque celle-ci est nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise.

C’est ce qu’avait d’ailleurs déjà retenu la Chambre sociale dans une autre décision récente au sujet de plages de travail imposées à certains cadres travaillant au sein des chaînes de magasin Conforama et notamment chargés d'assurer la fermeture du magasin ou d'effectuer des permanences. A cette occasion, la Cour avait validé l’approche de la cour d’appel jugeant que ces sujétions « ne les empêchaient pas de disposer d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et ne les contraignaient pas à être soumis à l'horaire collectif, de sorte que ces salariés étaient susceptibles de relever du régime du forfait en jours » (Cass. Soc. 15 décembre 2021, n° 19-18.226).

Dans ce contexte, un salarié qui ne respecterait pas les sujétions imposées par l’employeur et nécessaires à la bonne marche de l’entreprise pourra donc se voir sanctionné, y compris par un licenciement pour faute grave, si ses absences déstabilisent suffisamment le fonctionnement de l’entreprise, comme ce fut le cas dans l’arrêt du 2 février 2022.

Cette approche pragmatique de la Cour de cassation permet ainsi de concilier le recours au forfait en jours avec certaines activités impliquant des contraintes opérationnelles inéluctables. Les employeurs opérant dans ces secteurs d’activité pouvaient jusqu’à présent hésiter à imposer des contraintes à leurs salariés en forfait jours, par crainte de priver ces derniers d’autonomie et ainsi invalider la convention de forfait auquel ces derniers étaient soumis, s’exposant ainsi à des contentieux de rappel d’heures supplémentaires particulièrement coûteux.

Outre l’intérêt pour les employeurs s’agissant de l’organisation du temps de travail des salariés en forfaits jours, ces arrêts récents revêtent également un intérêt particulier dans le cadre du développement croissant du télétravail, amené à se pérenniser à la suite de la crise sanitaire de la Covid-19, la question de la flexibilité se posant alors d’autant plus.

L’attendu de principe de la Cour de cassation en date du 2 février 2022 vient ainsi rappeler opportunément que le forfait en jours ne saurait être utilisé par le salarié pour vaquer à ses occupations personnelles durant le temps de travail effectif, comme avaient déjà pu le souligner certaines cours d’appel.

Le fait pour un directeur d'agence bancaire de s'absenter tous les jeudis après-midi pour jouer au golf avait ainsi déjà été considéré comme un manquement fautif (CA Toulouse, 13 juill. 2018, n° 16/00835). Pour cause, outre le fait que le jeudi était un jour travaillé dans l’entreprise et donc travaillé dans le cadre du forfait ou alors posé comme jour de congé/de repos, le poste de directeur d’agence impliquait d’être présent lors des réunions et rendez-vous avec les clients ainsi que de rester joignable, ce qui n’était pas le cas lorsque le salarié s’absentait pour jouer au golf. Le salarié en forfait en jours reste toujours à la disposition de son employeur.

Attention toutefois : la possibilité reconnue par la jurisprudence de limiter la liberté du salarié ne saurait s’étendre à la fixation de plannings de présence horaire journaliers, ces derniers ayant déjà été jugés comme antinomiques avec l’autonomie nécessaire à l’éligibilité au forfait en jours (Cass. soc., 15 décembre 2016, n°15-17.568).

En conséquence, malgré la clarté de l’attendu de la Cour de cassation, en apparence rassurant pour les employeurs, il conviendra en réalité pour ces derniers de rester vigilants s’agissant du niveau d’autonomie à octroyer à leurs salariés en forfaits en jours, l’articulation exacte entre autonomie du salarié et contraintes opérationnelles de l’employeur étant encore en cours de définition par la Cour de cassation.

Imprimer