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17 février 2023Lecture d'6 minutes

De l'art subtile des actes extrastatutaires : compléter sans déroger

(Cass. com., 12 octobre 2022, n° 21-15.382)

Il est courant que, lors du recrutement d’un dirigeant, celui-ci négocie un minimum de protection contre sa perte d’emploi, notamment lorsque le bénéfice d’un contrat de travail et la protection qu’il apporte est vain. Ces conditions contractuelles doivent être abordées avec précaution au vu de la jurisprudence récente de la chambre commerciale.

En l’espèce, aux termes d’une lettre du 13 mai 2011, une personne a été nommée directeur général d’une société par actions simplifiée par son associé unique. Cette nomination était assortie du bénéfice d’un « golden parachute » en cas de révocation sans juste motif. Puis, par décision du 17 décembre 2014, celui-ci l’a révoqué de ses fonctions.

Estimant que sa révocation était intervenue sans juste motif, le directeur général a assigné la société en paiement d'une indemnité.

Les juges du fond l’ont débouté.

Il s’est alors pourvu en cassation en présentant les arguments suivants : même si les statuts d'une société par actions simplifiée prévoient que le directeur général peut être révoqué ad nutum par décision de l'associé unique, ce dernier peut, par une décision extra-statutaire obligeant la société, prévoir qu'en cas de révocation sans juste motif, le directeur général aura droit à une indemnité.

Plus précisément, la décision de nomination du 13 mai 2011 du directeur général qui s’est pourvu en cassation faisait référence à un courrier du même jour indiquant qu’en cas de révocation, le directeur général bénéficierait d'une indemnité forfaitaire égale à six mois de sa rémunération brute fixe.

En déboutant le directeur général de sa demande, la Cour d’appel a, selon celui-ci, méconnu l'engagement extra-statutaire pris par l'associé unique obligeant la Société.

La Cour de cassation a rejeté cet argumentaire et, par conséquent le pourvoi du directeur général.

Selon la Chambre commerciale, il résulte de la combinaison des articles L. 227-1 et L. 227-5 du Code de commerce que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général. La Haute Cour ajoute que « si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger ».

En l’occurrence, explique la Cour de cassation, puisque les statuts indiquaient que la cessation des fonctions de directeur général ne pouvait donner droit au directeur général révoqué à aucune indemnité, les juges du fond en ont exactement déduit que le procès-verbal de l'associé unique du même jour, procédant à la nomination du directeur général n'avait pas pu valablement déroger à cette disposition statutaire.

S’il était acquis qu’il appartient aux statuts de fixer de déterminer les conditions dans lesquelles la société est dirigée (I.), la Haute Cour nous précise ici que les actes extra-statutaires peuvent uniquement compléter les statuts, sans pouvoir y déroger (II.).

 

I. Les statuts, clé de voûte de l’édifice sociétaire

Le visa de l’arrêt commenté est limpide : en se référant explicitement à l’article L. 227-5 du Code de commerce, il rappelle que dans les sociétés par actions simplifiée, « les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».

A cet égard, la Cour de cassation avait solennellement déclaré en 2017 dans un arrêt largement publié que « seuls les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée » (Cass. com., 25 janv. 2017, n° 14-28.792).

Le mode de gestion sociale est donc déterminé par les statuts : ainsi en est-il de la révocation à tout moment d’un mandataire social, dont les modalités prévues par les statuts priment sur toute autre disposition statutaire contraire ou pacte d’associé (CA Paris, ch. 5-9, 2 oct. 2014, n° 13/24889).

Ainsi, puisque « les conditions dans lesquelles les dirigeants d'une société par actions simplifiée peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts », ceux-ci peuvent prévoir que la révocation n’a pas à être motivée par un juste motif (Cass. com., 9 mars 2022, n° 19-25.795).

Autrement dit : dura lex, sed lex (« la loi est dure, mais c’est la loi »), pourrait-on rappeler à cet égard.

Il est ainsi patent que le législateur, au travers notamment de l’article L. 225-7 du Code de commerce, a voulu faire des statuts la clé de voute normative de la société par actions simplifiée.

La Cour de cassation en tire toutes les conséquences dans l’arrêt commenté, en reléguant tout acte extra-statutaire à une place presque « subalterne » ou, à tout le moins, dans la dépendance des statuts (II.).

 

II. Les actes extra-statutaires, arcs-boutants de l’édifice sociétaire

Prenant acte de ce que les statuts forment une sorte de « loi fondamentale » sociétaire, la Cour de cassation explique de façon claire dans l’arrêt commenté que « si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger ».

Si déroger est, par nature, un acte éminemment juridique, il est plus délicat d’appréhender le fait de compléter. Comment comprendre le fait que les actes extra-statutaires peuvent compléter les statuts ?

Malgré le caractère balbutiant de l’arrêt commenté dans la jurisprudence de la Haute Cour, on peut imaginer que compléter se rapporte à préciser : des actes extra-statutaires devraient pouvoir préciser ce que les statuts prévoient, sans pour autant les dénaturer.

C’était d’ailleurs le point de discorde de l’arrêt commenté : ainsi, puisque les statuts prévoyaient une révocation ad nutum ne donnant lieu à aucune indemnité, un acte extra-statutaire ne pouvait, sans contredire les statuts, prévoir le versement d’une indemnité forfaitaire en cas de révocation.

C’est une vision qui est à l’opposé du principe de faveur du droit social, en vertu duquel un acte de niveau inférieur dans l’ordre juridique peut déroger dans un sens favorable au salarié.

En définitive, si la frontière – complexe à déterminer dans certaines circonstances – entre ce qui complète et ce qui déroge devra être précisée par la jurisprudence, l’arrêt commenté présente aussi le mérite de clarifier la hiérarchie des normes sociétaires : les statuts priment sur les actes extra-statutaires.

Cependant, la Cour de cassation invite ici implicitement à la plus grande vigilance lors de la rédaction d’actes extra-statutaires, notamment au profit de mandataires sociaux, puisqu’il n’est désormais plus acquis qu’ils puissent être utilement invoqués en cas de contentieux lorsqu’ils ne suivent pas les principes énoncés dans les statuts et qu’ils y dérogent…

Ces actes extra-statutaires ne les protégeront plus toujours face à la rigueur des modalités de révocation qui peuvent être parfois prévues dans les statuts. Seule une modification des statuts permettra de prévoir une telle garantie sauf à ne rien indiquer dans les statuts sur le régime de la révocation.