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17 février 2023Lecture d'5 minutes

Et si...la dégradation sérieuse et durable de l'excédent brut d'exploitation est la vrai potion magique des difficultés économiques ?

Depuis la loi Travail du 8 août 2016, l'article L. 1233-3 du Code du travail fixe des critères objectifs permettant de définir précisément les difficultés économiques de nature à justifier un licenciement économique. Celles-ci doivent en effet être caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires (CA), des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout élément de nature à justifier de ces difficultés.

Dans un arrêt du 1er février 2023 (publié au Bulletin), la Cour de cassation a jugé qu’une dégradation durable et sérieuse de l’Excédent Brut d'Exploitation (EBE) suffisait à caractériser l’existence de difficultés économiques permettant de valider le licenciement économique d’un salarié. (Cass. soc. 1er février 2023, n° 20-19.661)

L’intérêt de cet arrêt est majeur à plusieurs égards.

Primo, la Cour de cassation vient, à nouveau, confirmer et entériner sa position selon laquelle il peut y avoir des difficultés économiques sans baisse significative des commandes et/ou chiffre d’affaires.

En effet, dans un précédent arrêt rendu le 21 septembre 2022, la Cour de cassation a jugé que “si la réalité de l’indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d’affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement n’est pas établie, il appartient au juge, au vu de l’ensemble des éléments versés au dossier, de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l’évolution significative d’au moins un des autres indicateurs économiques énumérés par l’article L1233-3, 1° ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés”. Dans cette affaire, l’employeur avait notamment fait valoir des éléments financiers suivants : des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social et un niveau d’endettement s’élevant à 7,5 millions d’euros à fin décembre 2016 ; ces éléments auraient dû être pris en compte dans l’appréciation des difficultés économiques de la société. (Cass. Soc. 21 septembre 2022, n° 20-18.511)

Donc, des difficultés économiques peuvent exister même en absence de baisse significative du volume des commandes et/ou chiffres d’affaires.

Secundo, au plan juridique, les difficultés économiques peuvent être caractérisées par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel que défini à l’article L. 1233-3 du Code du travail.

Pour apprécier la réalité de la baisse significative des commandes et/ou du chiffre d’affaires, le texte de l’article 1233-3 du Code du travail impose un comparatif par trimestre, à savoir :

  1. Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés,
  2. Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés,
  3. Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés,
  4. Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.” (Article L.1233-3 du Code du travail)

A cet égard, la Cour de cassation a précisé récemment que ce comparatif par trimestre devait s’apprécier  “au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture à celui de l’année précédente à la même période”.  En d’autres termes, l’appréciation des difficultés économiques ne s’arrête pas à la date de la première réunion d’information et consultation du comité social et économique sur le motif économique (dit Livre II). L’employeur doit donc rester extrêmement vigilant dans le calendrier de notifications des licenciements économiques par vagues espacées, lorsque le motif est lié à des difficultés économiques. (Cass. soc. 1er juin 2022, n° 20-19.957)

Le texte de l’article L. 1233-3 du Code du travail n’exige pas ce comparatif par trimestre pour apprécier l’évolution des autres indicateurs économiques tels que l’EBE. C’est donc au juge du fond qu’il revient de déterminer à partir de quelle durée ou de quelles proportions la baisse doit être considérée comme « significative ». Dans l’arrêt du 1er février 2023, l’appréciation de l’évolution de l’EBE s’est faite sur 4 années précédant le licenciement économique.

Cette flexibilité est d’ailleurs salutaire car l’analyse économique et comptable des indicateurs économiques est rarement réalisée par les entreprises sur une période trimestrielle.

Tertio et Ultimo, la Cour de cassation admet dans l’arrêt du 1er février 2023 que le résultat positif d’opérations financières effectuées par la société et ayant temporairement amélioré sa performance économique n’empêche pas l’existence une dégradation durable et sérieuse de son EBE.

Dans cette espèce, les chiffres permettaient de constater que la société avait connu une dégradation sévère de son EBE :

  • - 726.000 euros en 2014,
  • - 874 000 euros en 2015,
  • + 32 000 euros en 2016, et
  • - 124 013 euros en

La seule année pendant laquelle l’EBE avait été positif ne remettait pas en cause l’existence de difficultés économiques dès lors que ce chiffre n’était rien d’autre que le résultat d'opérations financières réalisées par la société et notamment la renégociation d'un crédit-bail immobilier, une baisse significative des frais de holding, ainsi qu'un apport en compte courant associé.

La Cour de cassation a conclu que le caractère sérieux et durable de la dégradation de l'excédent brut d'exploitation permettait de démontrer que cet indicateur avait subi une évolution significative. Le licenciement pour motif économique de la salariée était donc fondé.

Il est donc possible de “neutraliser” l’impact positif d’opérations financières dans l’appréciation de l’EBE à partir du moment où sa dégradation est constatée dans les autres exercices comptables précédents et successifs.

En somme, les difficultés économiques constituent certes un motif économique classique, mais en rien simpliste. Se référer uniquement à la baisse du chiffre d’affaires ou des commandes serait de passer à côté du réel potentiel de ce motif économique qui porte le gage de la confiance du chiffre.

L’effet de ciseau auquel on assiste actuellement dans beaucoup de secteurs d’activité en raison de la hausse drastique des prix des matières premières et du carburant fournira des illustrations pertinentes de cette approche modernisée des difficultés économiques.