|

Ajouter un favori pour commencer

Abstract_Building_P_0053
16 février 2023Lecture d'6 minutes

Lanceur d'alerte : Malgré de nouvelles dispositions, des interrogations demeurent

« Ma seule motivation est d’informer le public sur ce qui est fait en leur nom et ce qui est fait contre eux »1. Tels sont les mots prononcés par Edward Snowden, lanceur d’alerte emblématique qui a révélé l’existence de programmes de surveillance de masse au sein de la NSA. 

Du côté de la France, en 2016, la loi dite Sapin 2 du 9 décembre 2016 organisait un régime harmonisé de la procédure de lanceur d’alerte et définissait le lanceur d’alerte comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance »2. Une protection spécifique est, par ailleurs, accordée aux salariés afin d'éviter qu'ils ne puissent être sanctionnés, licenciés ou ne fassent l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir signalé une alerte3.

Par la suite, la Directive du 23 octobre 2019 puis la loi de transposition du 21 mars 2022 ont substantiellement étendu tant la notion de lanceur d’alerte et modifié la procédure de recueil et de traitement des signalements. En dernier lieu, le décret d’application du 3 octobre 2022 a apporté des précisions sur les modalités d’application de la loi du 21 mars 2022.

Malgré ce millefeuille législatif, des interrogations demeurent principalement sur la mise en œuvre du principe de confidentialité tant lors du recueil que du traitement des alertes et sur la mise en œuvre de procédure ad hoc au sein d’un groupe.

 
La confidentialité du recueil et du traitement des alertes

Conformément à l’article 5 du décret d’application du 3 octobre 2022 précité4, la procédure de signalement doit garantir la confidentialité des informations recueillies et notamment l’identité du lanceur d’alerte et des personnes mises en cause.

Les éléments permettant d’identifier le lanceur d’alerte ne peuvent, d’ailleurs, être divulgués qu’avec son consentement.

Cette exigence de confidentialité, si elle est parfaitement légitime, peut parfois être difficile à concilier au moment du traitement d’une alerte et principalement lors de la phase d’enquête.

En effet, comment interroger efficacement des individus sur une alerte si tant l’identité de l’auteur de l’alerte que les personnes visées par celui-ci doivent rester confidentielles ?

Les personnes en charge de la phase d’investigation se trouvent alors face à un dilemme : comment obtenir des personnes interrogées les éléments dont ils ont besoin afin d’évaluer la véracité du signalement sans pour autant divulguer des informations qui doivent rester confidentielles ? Cette question est d’autant plus présente lorsque l’auteur du signalement ou la personne victime dont l’alerte est l’objet refuse de participer au traitement du signalement.

Lors des auditions, il n’est ainsi pas rare que les personnes en charge de l’investigation usent de détours pour obtenir les informations nécessaires pour évaluer la véracité des faits signalés.  

 

Les procédures de recueil et de traitement des alertes au sein des groupes de sociétés

L’article 3 de la loi du 21 mars 20225 est venu préciser que :

  • Les entreprises employant moins de 250 salariés peuvent mettre en commun leur procédure de recueil et de traitement des signalements ;
  • Les sociétés d’un groupe peuvent soit organiser une procédure commune de recueil et de traitement des alertes, soit prévoir une transmission des informations relatives à l’alerte à une autre société du groupe.

Alors que la loi semblait ouvrir la possibilité d’une mise en place de procédures communes à la fois (i) entre entreprises de moins de 250 salariés et (ii) entre sociétés d’un groupe, le décret vient restreindre cette interprétation indiquant que la procédure commune ne s’applique qu’entre entreprises de moins de 250 salariés.

Ainsi, il semble qu’une mise en commun ne soit possible, dans un groupe de sociétés, que si les entreprises concernées ont moins de 250 salariés. La notice qui précède le décret mentionne ainsi que « les entités peuvent adopter une procédure identique à plusieurs d’entre elles, sous réserve d’une décision concordante des organes compétents de chacun d’elles. Il peut en être ainsi, notamment dans les groupes de sociétés »6. Cette notice suit la position de la Commission Européenne exprimée en juin 2021 qui, interprétant la directive européenne du 23 octobre 2019, a estimé qu’une mise en commun ne pouvait s’appliquer qu’aux entreprises comptant moins de 250 salariés.

Quid des groupes de sociétés comptant des sociétés ayant un effectif supérieur à 250 salariés et des groupes de sociétés ayant antérieurement mis en place une procédure commune de recueil et de traitement des alertes ?

Au regard de la lecture des nouveaux textes, ces groupes devront mettre en place une procédure dans chaque société. Toutefois, cela exclut-il toute mise en commun des dispositifs nécessaires au traitement d’alerte ? Si le partage des ressources n’est expressément prévu dans le décret que pour les entreprises de moins de 250 salariés, pour autant les sociétés d’un même groupe pourraient continuer à utiliser des ressources groupe à condition que ses ressources s'additionnent et non remplacent les ressources présentes localement.

Espérons que les administrations ou juridictions françaises éclairent rapidement ce point crucial pour les groupes sur lesquels pèse toujours un certain flou.


1Edward Snowden: the whistleblower behind the NSA surveillance revelations | The NSA files | The Guardian
2Article 6 - LOI n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (1) - Légifrance (legifrance.gouv.fr)
3Cass. soc., 1er février 2023, n°21-24.271
4Décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 relatif aux procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d'alerte et fixant la liste des autorités externes instituées par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte - Légifrance (legifrance.gouv.fr)
5Article 3 - LOI n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte (1) - Légifrance (legifrance.gouv.fr)
6Cf. note n°3