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10 décembre 2025

Congés et arrêt maladie : nouvelle étape de la Cour de cassation vers une harmonisation européenne

La Cour de cassation avait marqué les esprits il y a déjà deux ans en consacrant le droit à l’acquisition de jours de congé au cours d’un arrêt maladie, mais également le droit au report des congés payés lorsqu’un arrêt maladie survient avant la prise de ce congé. Ce revirement avait alors contraint le législateur à formaliser ce droit à congés payés à l’article L. 3141-5-1 du Code du travail, assurant ainsi la conformité du droit français aux dispositions de l’article 7, § 1, de la directive 2003/88/CE, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union Européenne.

Cette mise en conformité comprenait, et comprend toujours des zones d’ombres, notamment dans l’hypothèse de la survenance de l’arrêt maladie au cours de la période de congés payés du salarié.

Jusqu’alors, en cas de concours de deux causes de suspension du contrat de travail, la Cour de cassation faisait prévaloir la théorie de l’antériorité. Si le salarié est en congés au moment de la survenance de la maladie, il ne peut prétendre à leur report1 . Au contraire, si le salarié a son contrat suspendu au titre d’un arrêt maladie au moment de la survenance de ses congés payés, ces derniers peuvent être différés2 . C’est d’ailleurs cette interprétation qui était revendiquée dans le pourvoir de l’employeur.

Par un arrêt du 10 septembre 2025, pourvoi n° 23-22.732, la Cour de cassation s’inscrit dans la ligne directe de son revirement du 13 septembre 2023, et vient réaffirmer son objectif de mise en conformité avec le droit européen.

La Cour de cassation, de nouveau confrontée à cette question, et sans grande surprise, s’aligne sur sa nouvelle jurisprudence et opère un revirement : le salarié qui a fait l’objet, durant sa période de congés payés, d’un arrêt maladie notifié à l’employeur peut prétendre au report des jours de congés correspondants, qui ne sauraient être imputés à son solde restant.

Sa décision se repose notamment sur les constatations suivantes :

  • Le principe de la cause première de suspension est d’origine purement prétorienne, et ne saurait constituer un droit acquis. Aussi, l’avis de l’Avocate Générale3 fait valoir que ce critère d’interprétation ne se fond que sur le hasard des circonstances, et propose une interprétation « causaliste » de la nature de la suspension (volontaire ou subie par exemple), comme déjà utilisé par la Cour de cassation s’agissant de l’articulation du congé parental d’éducation et du congé maternité4 ;
  • Il convient d’opérer une distinction entre la finalité du congé payé, qui a pour but de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisir, de celle du congé maladie, accordé pour qu’il puisse se rétablir, tel qu’interprété par la CJUE5 ;
  • La Cour de justice a statué depuis 2012 sur ce point, considérant que « L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions nationales prévoyant qu’un travailleur, en incapacité de travail survenue durant la période de congé annuel payé, n’a pas le droit de bénéficier ultérieurement dudit congé annuel coïncidant avec la période d’incapacité de travail » 6

C’est ainsi assez logiquement qu’elle en conclue que l’article L. 3141-3 du Code du travail (l’article L. 3141-5-1 n’étant pas applicable au litige), interprété à la lumière de la directive 2003/88/CE, donne droit de report des congés payés du salarié lorsque celui-ci est placé en arrêt maladie au cours de cette période.

En outre, la reconnaissance de ce droit répond à la mise en demeure de la Commission européenne adressée à la France en juin 2025 pour non-conformité à la directive 2003/88/CE.

Concrètement, cette évolution appelle les praticiens à être attentifs aux développements jurisprudentiels et légaux à venir, notamment liés aux modalités concrètes de mise en œuvre de ce principe : par exemple, la date limite de report, la charge de la preuve, l’articulation avec les conventions collectives, ainsi que la rétroactivité des droits.

Il convient enfin de rappeler qu’en application de l’article R. 323-1 du Code de la sécurité sociale, le salarié qui notifie son arrêt maladie pendant sa période de congé ne pourra percevoir ni l’indemnité de congés payés, ni celles de la sécurité sociale, en raison du délai de carence de trois jours.


1 Cass. Soc. 4 décembre 1996, n°93-44.907
2 Cass. Soc. 16 février 1999, Bull. N°81
3 Avis de Madame WURTZ, Première Avocate Générale - Arrêt n°791 du 10 septembre 2025 (FP-B+R)
4 Cass. Soc. 11 février 2004, Bull. 47
5 CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a., C-350/06 et C-520/06, point 25, CJUE, 10 septembre 2009, Perada, C-277/08, point 21
6 CJUE, arrêt du 21 juin 2012, ANGED, C-78/11