Quebec

9 avril 2025

La Commission d'accès à l'information se prononce sur les enjeux en matière de collecte de renseignements personnels dans le cadre de l’embauche

Au cours des dernières semaines, la Commission d'accès à l'information ( « CAI »), l’autorité en charge de la protection de la vie privée du Québec, a multiplié les activités, notamment en publiant plusieurs décisions clés concernant l'utilisation de la biométrie. Ce niveau d'activité accru de la CAI indique que nous sommes entrés dans une nouvelle phase suivant l'adoption d'amendements à la législation provinciale sur la protection de la vie privée au cours des dernières années. Les récentes décisions de la CAI dans des domaines clés, de même que la publication de lignes directrices et d’énoncés de position sur divers sujets d'intérêt sont des développements appréciés tant par les entreprises que par les professionnels du domaine de la protection des renseignements personnels préoccupés par la mise en œuvre pratique de certaines exigences qui ont émergé de la récente modernisation du cadre juridique de la province.

Le 17 mars 2025, la CAI a publié des lignes directrices sur la collecte de renseignements personnels par les employeurs ou par des tiers fournisseurs de services dans le but d'évaluer les candidatures à un emploi et de prendre des décisions d'embauche (les « Lignes directrices sur l'embauche »). Plus récemment, le 29 mars 2025, le président de la CAI, de concert avec le président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, a publié une lettre ouverte rappelant aux entreprises l’importance du respect de certaines règles de base en matière de protection de la vie privée, de protection contre la discrimination et de respect des droits fondamentaux protégés par la Charte des droits et libertés de la personne dans le cadre d’un processus d’embauche.

Il s’agit d’une indications claires que les autorités québécoises considèrent qu’il s’agit d’un sujet prioritaire. Les entreprises qui œuvrent au Québec peuvent donc s’attendre à ce que leurs pratiques en la matière fassent l’objet de davantage d’attention dans les mois à venir.

Cet article résume les principaux points à retenir pour les employeurs et les services de recrutement tiers qui recueillent nécessairement des renseignements personnels dans le cadre de l’embauche.

L’obligation de démontrer la nécessité de la collecte

La CAI saisit une fois de plus cette occasion pour rappeler aux entreprises assujetties aux lois du Québec que la question prédominante doit toujours être de savoir si les renseignements recueillis sont nécessaires pour atteindre les objectifs pour lesquels ils sont recueillis. Si la nécessité ne peut être démontrée, la collecte de ces renseignements personnels sera illégale, même si le candidat a consenti à fournir ces renseignements. Par conséquent, si le nom, les coordonnées et les qualifications professionnelles sont essentiels pour évaluer l'aptitude d'un candidat à l'emploi, certains autres renseignements ne seront nécessaires à des fins d'emploi que si le candidat accepte un poste au sein de la société qui l'embauche. Il s'agit, par exemple, du numéro d'assurance sociale, de la date de naissance, des informations bancaires ou des informations concernant les personnes à charge. En cas de doute, la collecte de renseignements personnels est présumée non nécessaire. Il est intéressant de noter que, dans les Lignes directrices sur l'embauche, la CAI a divisé le processus de recrutement en étapes et souligne l'importance de minimiser la collecte de renseignements et de ne demander que les renseignements supplémentaires qui peuvent être nécessaires au fur et à mesure que le candidat progresse dans le processus d'embauche.

Références et vérification de dossiers externes

La CAI adopte la position que la demande de références ainsi que leur vérification, de même que la consultation de dossiers externes des candidats, doivent se faire après la présentation d’une offre d’emploi conditionnelle par l’employeur. Dans ce cas, les renseignements recueillis doivent se limiter à ce qui est nécessaire pour évaluer les exigences essentielles du poste.

Par ailleurs, alors qu’auparavant le simple fait pour un candidat de fournir des références pouvait être considéré comme un consentement implicite à les vérifier, la CAI précise désormais que l’employeur doit obtenir son consentement explicite avant de contacter ces références.

Dans la même veine, avant de consulter les dossiers de crédit ou des informations portant sur la solvabilité, la réputation ou le caractère d’un candidat, l'employeur doit obtenir son consentement exprès. Si l’objectif est de vérifier l'honnêteté ou le caractère du candidat, la CAI recommande de privilégier une vérification des références plutôt qu’une enquête sur son dossier de crédit.

Réseaux sociaux

La CAI rappelle que la consultation des profils en ligne d’un candidat, bien que souvent accessible publiquement, représente une intrusion injustifiée dans sa vie privée et doit être évitée. Ce principe s'applique même si le candidat offre lui-même l'accès à ses profils publics dans son curriculum vitae. En effet, l'employeur doit toujours adhérer au principe fondamental de la nécessité de la collecte des renseignements personnels.

De plus, les renseignements personnels révélés sur ces profils ne sont, en principe, pas pertinents pour l’évaluation des compétences professionnelles du candidat et ne devraient donc pas être intégrés dans son dossier. En outre, la CAI rappelle que ces renseignements peuvent être inexacts, désuets ou sans lien avec les des compétences professionnelles, ce qui en diminue la fiabilité et la pertinence pour le processus de recrutement.

Le recours aux tests psychologiques et psychométriques à proscrire

Dans ses Lignes directrices sur l’embauche, la CAI déconseille également l’usage des tests psychométriques puisque ces derniers présentent des enjeux en matière de respect du droit à la vie privée des candidats. Ces tests ne devraient être appliqués que dans des situations spécifiques et justifiées, où leur pertinence est indiscutable.

Lorsque de tels tests sont utilisés, la CAI insiste sur la nécessité pour les employeurs de faire preuve de prudence et de rigueur. Il est essentiel de s'assurer de la validité scientifique de la méthode employée, ainsi que de définir des critères objectifs pour leur utilisation. La prudence doit également guider l’analyse des résultats, d’autant plus que ces derniers sont parfois générés par des algorithmes peu transparents. De plus, les tests psychométriques ne devraient jamais remplacer les questions objectives et directement liées aux exigences du poste lors de l’entrevue.

Le recours à l’intelligence artificielle dans le processus d’embauche

À titre de rappel, la Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels (Loi 25), impose l’obligation d’informer les personnes concernées lorsque des décisions sont prises exclusivement par traitement automatisé de renseignements personnels, y compris via l’utilisation d’un système d’intelligence artificielle (IA).  Bien que la loi exige que l’utilisation de ces procédés soit communiquée au plus tard au moment de la décision, les Lignes directrices sur l’embauche vont plus loin en recommandant que les candidats soient informés de manière proactive dès le début du processus de recrutement si l’IA est utilisée.

La CAI insiste également sur l’obligation pour l’employeur de réaliser une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP) avant d’intégrer un système d’IA dans le processus d’embauche. Cette évaluation vise à anticiper et minimiser les risques potentiels pour la vie privée des candidats, en s’assurant que le recours à l’IA est proportionné et respectueux des droits des individus.

De plus, la CAI met en garde les employeurs contre l’utilisation de systèmes d’IA de reconnaissance de l’état émotionnel ou psychologique des candidats lors d’entrevues en visioconférence. Ces technologies sont jugées souvent disproportionnées par rapport aux besoins réels de l’employeur et sont susceptibles de porter atteinte à la vie privée des candidats.

Les paramètres de la collecte et conservation de renseignements médicaux

Les renseignements de nature médicale étant hautement sensibles et confidentiels, leur collecte doit être strictement limitée à ce qui est nécessaire pour évaluer les aptitudes ou qualités requises pour le poste concerné.  Une collecte non justifiée de ces données pourrait être considérée comme illégale et constituer un motif de discrimination. Ainsi, la CAI insiste sur l’importance de ne recueillir ces renseignements que dans des circonstances exceptionnelles, et seulement lorsque leur nécessité est clairement établie, ce qui pourrait notamment être envisageable lorsque lié aux exigences du poste ou dans le cadre d’une demande d’accommodement.

L'employeur demeure responsable des actions de ses prestataires de services tiers

La CAI rappelle que les obligations de l’employeur en matière de protection des renseignements personnels continuent de s’appliquer même s’il fait affaire avec un tiers, comme une agence de placement ou un prestataire de services offrant des outils utilisés dans le processus d’embauche.

Une note spéciale pour les agences de placement

Outre les obligations qui s'appliquent à tout employeur, les agences de placement de personnel ont des responsabilités supplémentaires en matière de transparence et de protection des renseignements personnels des candidats. Elles doivent, en premier lieu, informer les candidats de l'identité de l'employeur dès que possible dans le processus de recrutement. Toutefois, dans les situations où l'employeur souhaite rester anonyme au début de l'évaluation des candidatures, l'agence est tenue de communiquer clairement cette situation aux candidats et de leur expliquer que leurs candidatures seront traitées de manière anonymisée.

Par ailleurs, la CAI insiste sur l'importance pour les agences de placement de se présenter clairement aux candidats et de leur fournir des informations détaillées sur la manière dont leurs renseignements personnels seront utilisés tout au long du processus de recrutement. Dans le cas où l'agence envisage de conserver les renseignements personnels des candidats pour des utilisations secondaires (par exemple, pour d’autres emplois), elle devra obtenir le consentement explicite des candidats avant de procéder à une telle conservation.

Recommandations sur les meilleures pratiques

Ces Lignes directrices sur l'embauche constituent une ressource clé en matière de protection des renseignements personnels dans le cadre de l’embauche et représentent une indication claire des attentes de la CAI en la matière. Les points clés qui doivent être retenus par les entreprises sont les suivants :

  • Élaborez une politique de protection de la vie privée des candidats, distincte de la politique de protection de la vie privée des employés et adaptée aux particularités de la collecte, de l'utilisation et de la divulgation de renseignements personnels lors de la phase préalable à l'embauche.
  • Adaptez vos demandes de renseignements personnels à chaque poste afin de refléter les exigences de la fonction – si les renseignements ne sont pas nécessaires pour évaluer l'aptitude du candidat à l'emploi, ne les demandez pas.
  • Si vous employez l’IA dans votre processus d’embauche vous devez d’abord considérer les enjeux particuliers associés à l’utilisation de ces technologies.
  • Limitez la consultation des profils des candidats sur les réseaux sociaux : le fait que certains renseignements soient publics ne veut pas dire que l’employeur potentiel peut y accéder ouvertement et sans motifs.
  • Lorsque vous faites appel à des prestataires de services tiers, assurez-vous que leurs pratiques de collecte et d’utilisation des renseignements personnels sont conformes aux lois en vigueur.

Les Lignes directrices sur l'embauche de la CAI sont disponibles ici (en français uniquement).

Notre équipe de spécialistes du droit de l’emploi et de la protection des renseignements personnels est en mesure de vous soutenir dans l’élaboration d’un processus d’embauche conforme aux exigences des lois québécoises. Nous vous invitons à communiquer avec les auteurs de cet article pour toute question à ce sujet.