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11 avril 2024Lecture 7 minutes

Les heures supplémentaires : un partage de la preuve déséquilibré

Le nombre d’heures supplémentaires réalisé par les salariés est en constante augmentation. En 2022, les salariés réalisaient en moyenne 181 heures dans l’année. Sur le 3ème trimestre 2023, les salariés ont réalisé en moyenne 16,8 heures1.

Ces heures supplémentaires sont particulièrement propices aux contentieux et des demandes de rappel corrélatives viennent souvent agrémenter un contentieux lié à la rupture d’un contrat de travail ; ce d’autant plus que le barème dit Macron a limité les dommages et intérêts pouvant être accordés dans le cadre d’un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse.

Dans le cas d’un tel contentieux, conformément à l’article L. 3171-4 du Code du travail, la charge de la preuve est partagée entre le salarié qui doit, dans un premier temps, apporter des éléments suffisamment précis relatifs aux heures supplémentaires non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies (I.) et l’employeur qui, dans un second temps, doit répondre aux éléments produits par le salarié (II.). Le juge formera sa conviction au regard de l’ensemble des éléments transmis par les parties.

 
Une preuve suffisante du salarié

Lorsqu’il sollicite un rappel d’heures supplémentaires, le salarié doit rapporter des éléments suffisants permettant d’établir qu’il a réalisé des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées.

La preuve à rapporter est en réalité assez faible, la Cour de cassation considérant que la production par le salarié d’un tableau correspondant à une addition hebdomadaire d’heures supplémentaires alléguées, même sans décompte quotidien et sans indication d’amplitude horaire, constitue un élément suffisant permettant à l’employeur de répondre (Cass. soc., 10 janvier 2024, n°22-17.917).

De la même façon, est considéré comme suffisant le tableau mentionnant, sur plusieurs années, un décompte du temps de travail toujours identique reposant sur la simple multiplication de la durée hebdomadaire de travail alléguée par 52 semaines (Cass. soc., 4 oct. 2023, n° 22-21.147).

Sont également considérés comme suffisants :

  • les décomptes réalisés par le salarié qui présentent des anomalies et des éléments erronés (Cass. soc., 5 juill. 2023, n° 21-25.747) ;
  • les décomptes ne faisant pas apparaitre les temps de pause (Cass. soc. 27 janvier 2021 n° 17-31.046) ;
  • les décomptes sans déduction des temps de trajet (Cass. soc. 1er juin 2022 n° 20-17.360).

En outre, un tel tableau n’a pas nécessairement à être établi durant la relation de travail, les juridictions prud’homales acceptant parfaitement qu’il ne soit établi qu’a posteriori (Cass. soc., 18 mars 2020, n°18-10.919).

Ainsi, l’établissement d’un simple tableau, même sans pièce justificative pour étayer les heures de travail mentionnées, sera suffisant pour que le salarié soit considéré comme ayant rempli sa part de la preuve partagée de l’existence d’heures supplémentaires.

 

Une preuve exigeante de l’employeur

Si la preuve devant être rapportée par le salarié est assez édulcorée, c’est en raison de l’obligation de décompte du temps de travail qui pèsent sur les employeurs et suppose, en conséquence, que ces derniers doivent, en principe, être en mesure de rapporter une preuve fidèle des heures réalisées par les salariés.

La Cour de Justice de l’Union Européen a ainsi rappelé récemment que les Etats membres devaient imposer aux employeurs l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur (CJUE 14 mai 2019, Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO), C-55/18, point 60).

En droit français, lorsque les salariés sont tous soumis à la même durée et aux mêmes horaires collectifs de travail (c'est-à-dire les salariés travaillant 35 heures par semaine), il n'y a pas d'obligation légale de mettre en place des outils de suivi du temps de travail.

Cependant, en pratique, l'entreprise doit suivre le temps de travail de ses salariés afin de pouvoir justifier leur temps de travail effectif en cas de contrôle de l’inspection du travail et, le cas échéant, d'évaluer le nombre d'heures supplémentaires effectuées et à payer. L'outil choisi pour ce suivi est laissé à l'appréciation de l'entreprise (feuilles de temps, badge, pointage).

En revanche, si les salariés sont soumis à une durée du travail identique mais à des horaires différents, un suivi du temps de travail des salariés concernés doit être mis en place (article L. 3171-2 du Code du travail).

Dans ce cas, le temps de travail des salariés doit être contrôlé (i) quotidiennement en enregistrant, par tout moyen, les heures de début et de fin de chaque période de travail, ou en enregistrant le nombre d'heures travaillées (le fait de pointer uniquement les heures d'entrée et de sortie, sans compter les pauses et les périodes de repos entre ces deux heures, ne permet pas de vérifier le temps de travail réel des employés et n'est pas conforme) et (ii) hebdomadairement en récapitulant, par tout moyen, le nombre d'heures travaillées par chaque salarié.

A noter, concernant les salariés en convention de forfait en jours sur l’année, les modalités de suivi du temps de travail sont particulières puisqu’aucune référence horaire n’existe. Ainsi, un décompte spécifique mentionnant les jours travaillés et les types de jours non travaillés (congés payés, RTT, maladie, etc) doit être établi par le salarié et vérifié régulièrement par l’employeur. Par ailleurs, a minima une fois par an2, un entretien doit être organisé entre le salarié et son manager afin d’échanger sur la charge de travail, l’organisation du travail, l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle et la rémunération. Ces modalités de suivi du temps de travail sont cruciales puisqu’à défaut, la convention de forfait en jours sera inopposable et le salarié pourra solliciter un rappel d’heures supplémentaires pour toutes les heures réalisées au-delà des 35 heures hebdomadaires légales sur une période de 3 ans.

Du fait de cette obligation de décompte des heures réalisées par les salariés, la preuve que l’employeur doit rapporter, s’agissant des heures supplémentaires réalisées, est nécessairement plus exigeante.

Ainsi, l’employeur ne peut se contenter de contester globalement le décompte fourni par le salarié sans en proposer un autre ni fournir aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié (Cass. soc. 14 octobre 1998, n° 96-42.440).

Pour autant, l’absence de mise en place par l’employeur d’un suivi du temps de travail ne prive pas ce dernier de pourvoir soumettre tous éléments au soutien de ses prétentions quant à l’existence ou au nombre des heures supplémentaires réalisées (Cass. soc., 7 février 2024, n°22-15.842). Des attestations, comme c’était le cas dans cet arrêt, peuvent dont naturellement être versées aux débats par l’employeur.

La preuve de l’absence de réalisation d’heures supplémentaires a ainsi été rapportée lorsque :

  • L’employeur produisait des attestations de salariés et de clients indiquant que le salarié ne faisait pas d'heures supplémentaires (Cass. soc., 18 juill. 2001, n° 99-42.992) ;
  • L’employeur produit un cahier manuscrit des heures réalisées quotidiennement par le salarié, contenu du cahier corroboré par des attestations (Cass. soc., 7 février 2024, n°22-15.842).

A l’aune des éléments transmis tant par le salarié que l’employeur, le juge formera sa conviction. Si le juge estime que des heures supplémentaires non payées ont été réalisées, il devra motiver les points ayant emporter sa conviction. En revanche, le juge n’est pas tenu d’expliquer les détails de ces calculs quant à la somme accordée in fine au salarié, si bien que, sans réelle raison apparente, l’employeur puisse être condamnée à un rappel d’heures supplémentaires ne correspondant ni à la demande du salarié ni au subsidiaire de l’employeur.


1Chiffres de la DARES au 29 janvier 2024
2Nombre d’entretiens annuels variable en fonction de la convention collective applicable ou de l’accord collectif d’entreprise