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10 décembre 2025

Évaluer la performance en entreprise : l’optimisme, l’honnêteté et le bon sens peuvent-ils compter ?

La Cour de cassation, dans son arrêt du 15 octobre 2025, s’est prononcée sur la possibilité d’intégrer des critères comportementaux dans l’évaluation des salariés. Si l’employeur dispose d’un pouvoir d’appréciation, celui-ci doit s’exercer au travers de critères objectifs et pertinents. Or, des notions subjectives telles que l’optimisme, l’honnêteté ou le bon sens ne répondent pas à ces exigences en l’absence d’indicateurs mesurables. Peuvent-elles par ailleurs induire des discriminations notamment à l’occasion de PSE, lorsqu’il s’agit d’apprécier les qualités professionnelles comme l’un des critères d’ordre des licenciements économiques ?

Dans un arrêt du 15 octobre 2025, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur la question suivante : peut-on prendre en compte des critères comportementaux pour évaluer la performance des salariés ?

Les méthodes d’évaluation doivent être soumises à la consultation du CSE mais avant tout reposer sur des critères objectifs et pertinents au regard de la finalité poursuivie, à savoir apprécier les aptitudes professionnelles des salariés.

En l’espèce, l’employeur avait mis en place une procédure d’Entretien de Développement Individuel (EDI) comportant une partie relative à l’évaluation du travail et des objectifs et une partie relative à l'évaluation des « compétences comportementales groupe » des salariés.

Les fiches d’évaluation comportaient notamment les mentions suivantes :

  • Item « engagement » / sous-catégorie « Persévérance » : « faire preuve d'optimisme »,
  • Item « avec simplicité » / sous-catégorie « Transparence » : « agir et communiquer avec honnêteté avec sa hiérarchie et ses collègues » et sous-catégorie « Être pragmatique » : « se montrer concret en faisant preuve de bon sens ».
Pouvoir d’évaluation de l’employeur : oui, mais avec des critères objectivement

L’employeur faisait valoir que l’évaluation des « compétences comportementales » était pertinente, au motif que la performance professionnelle d’un salarié ne pouvait pas se limiter à ses seules compétences techniques ou à ses connaissances « métiers ». Elle doit également couvrir un ensemble d’aptitudes comportementales essentielles, telles que les facultés d’adaptation, l’aptitude à s’intégrer au sein d’une équipe ou à la diriger, ainsi que le potentiel d’évolution vers d’autres fonctions.

C’est cet ensemble qui permet d’apprécier pleinement les compétences professionnelles du salarié. Certes, on peut se demander si le comportement relève d’une compétence plutôt que d’une aptitude ou d’une qualité, acquise ou innée, mais dans tous les cas et quel que soit le vocable utilisé, il s’agit bien d’évaluer le salarié à son poste.

L’employeur ajoutait que le critère consistant à apprécier la capacité d’un salarié à « se montrer concret, actif et efficace en faisant preuve de bon sens » répondait à des exigences de clarté, de précision et de pertinence, puisqu’il visait directement l’évaluation de son efficacité professionnelle.

On peut en effet tenir pour acquis que la fonction managériale par exemple, requiert des aptitudes comportementales telles que l’écoute, la communication, le leadership ou la gestion des émotions, lesquelles influent directement sur la performance collective et le climat social. À noter que pour certaines fonctions managériales, des carences en la matière peuvent caractériser une insuffisance professionnelle.

Parce que ces dimensions échappent aux outils d’évaluation usuels, la mise en place d’une EDI offre une approche plus complète. Elle permet de valoriser les aptitudes relationnelles dans un environnement professionnel, d’apprécier les qualités managériales dans le temps et même de participer à la prévention des risques psychosociaux en facilitant la détection notamment des signaux faibles de tension ou de désalignement.

Toutefois, et en toute logique, dans son arrêt du 15 octobre 2025, la Cour de cassation rappelle que si l’employeur dispose d’un pouvoir d’évaluation découlant de son pouvoir de direction, encore faut-il que les critères retenus soient précis, objectifs et pertinents. Or, en l’espèce, le dispositif EDI fondé sur des notions telles que l’optimisme (certes bienvenu en ces temps de crise), l’honnêteté et le bon sens ne répondait pas à ces exigences.

La prise en compte de ces notions, subjectives et à géométrie variable, ne garantit pas l’impartialité requise en la matière, sauf à pouvoir les mesurer objectivement ce qui n’était pas démontré en l’espèce.

Par ailleurs, le juge a relevé qu’il n’était pas possible de savoir dans quelle proportion les nombreux critères et sous-critères comportementaux entraient en ligne de compte dans l’évaluation, ni s'il existait réellement dans leur mise en œuvre « une certaine forme d'équilibre avec les critères d'appréciation purement techniques ».

Quels impacts pour les licenciements économiques et le PSE ?

Par analogie, on peut étendre ces considérations à la question délicate de l’appréciation des qualités professionnelles, soit l’un des critères légaux permettant de déterminer l’ordre des licenciements économiques. En cas de PSE, l’attention de l’administration porte immanquablement, pour octroyer son homologation, sur le caractère objectif de l’appréciation des qualités professionnelles et le poids donné à ce critère. Le juge administratif a du reste déjà admis que les résultats d’une évaluation professionnelle puissent être utilisés pour apprécier ces qualités professionnelles.

Au vu de l’arrêt du 15 octobre 2025, on peut douter, sans faire offense à la séparation des pouvoirs, que l’administration et le juge administratif acceptent de considérer par principe l’optimisme et le bon sens, par exemple, comme des critères pertinents objectivement mesurables… donnant ainsi en réalité toute latitude à l’employeur pour « favoriser » tel ou tel salarié de son choix.

Reste alors à démontrer à l’administration en quoi telle ou telle aptitude comportementale est pertinente et doit être privilégiée de façon proportionnée au résultat à atteindre au sein de l’entreprise faisant face à des difficultés économiques et/ou à un besoin de sauvegarde de compétitivité, soit son redressement en conservant les salariés les plus à même d’œuvrer en ce sens.

Reste également à rendre objectivement mesurable, tâche ardue, celle-ci, via des indicateurs préexistants, tels, par exemple, pour les managers les résultats obtenus au sein de leur équipe lors des évaluations 360°, les taux d’adhésion ou encore les scores de bien-être/QVCT etc.

Le chemin est étroit mais pas fermé.

Il se trouve toutefois élargi cas d’accord majoritaire signé avec les syndicats représentatifs dans l’entreprise, puisque l’administration trouve alors, pour valider le PSE, son pouvoir de contrôle des critères drastiquement limité à la discrimination. Le dialogue social au plus près des contingences de l’entreprise prévaut.
Faut-il donc encore qu’une signature majoritaire intervienne et que les syndicats, attentifs à leur audience, acceptent la mise en place de critères « subjectifs » pouvant permettre à l’employeur de faire son « choix ». Tout sera donc question de mesure dans tous les sens du terme.

Faut-il aussi compter sur la vigilance de l’administration et de son juge, pouvant au demeurant souhaiter garder du levier, s’agissant de critères subjectifs susceptibles d’aboutir à une discrimination. A noter qu’un critère pour subjectif ou discutable/inventif qu’il soit, n’est pas nécessairement ensoi discriminatoire.
Deux exemples juridictionnels récents illustrent l’appréciation au cas par cas du caractère discriminatoire de critères « subjectifs » prévus par accord collectif à l’occasion d’un PSE.

CA de Nîmes, 13 mai 2025, n° 23/02878: une salariée contestait son licenciement en raison de l’application discriminatoire des critères d’ordre, notamment la disponibilité et l’efficience comme critères à l’appréciation des qualités professionnelles, qui avaient été évaluées pendant sa période de maladie. La Cour relève d’une part, que l’employeur n’apporte aucune preuve de l’objectivité de ces sous-critères et de leur caractère étranger à toute discrimination, et d’autre part, que leur écrasante pondération démontrait qu’il n’avait pas tenu compte de l’ensemble des critères. La Cour constate alors que l’employeur a sanctionné l’arrêt maladie de la salariée par une cotation négative sur les critères subjectifs, ce qui constitue indirectement une discrimination fondée sur l’état de santé.

TA de Bordeaux, 10 mars 2025, n° 2407781 : les requérants contestaient la pondération et la subjectivité des critères tels que la réactivité, l’esprit d’équipe, la motivation, estimant qu’ils pénalisaient les salariés en arrêt maladie ou n’ayant pas bénéficié de formations. Le Tribunal analyse concrètement les situations individuelles et conclut que « cette allégation ne se trouve corroborée par aucune des situations évoquées à titre d'exemple par les requérants (...). Par suite, le moyen tiré de ce que la pondération des critères d'ordre retenue par l'accord induirait une discrimination indirecte au regard de l'âge, de la situation de famille ou du handicap (...) doit être écarté. »

En conclusion, c’est au travers de la concertation et de la mesure que peuvent être définis des critères d’évaluation conjuguant la sécurité juridique, l’impartialité et la reconnaissance de la pluralité des compétences.