
10 décembre 2025
Salariés protégés : retrospective d'une protection pouvant engager la responsabilité de l'Etat
En 2023, 601 000 salariés, soit environ 6 % des effectifs des établissements privés de plus de 10 salariés, exercent un mandat d’élu ou de délégué syndical.
Afin de permettre à ces représentants du personnel d'exercer en toute sérénité leur mandat et de les protéger contre d'éventuelles mesures de représailles ou d'intimidation, le législateur a institué une protection particulière d’ordre public. Cette protection particulière implique pour les employeurs de respecter une procédure ad hoc qui vient en supplément de celle applicable à tout salarié.
1. Le scope de la protection des salariés protégés
Cette protection s’applique principalement aux délégués syndicaux, aux membres de la délégation du personnel du Comité Social et Economique (CSE), du Comité de groupe et du Comité d’entreprise européen, aux représentants syndicaux, aux représentants de proximité, aux conseillers du salarié et aux conseillers prud’hommes.
Elle implique notamment que le salarié ne peut être licencié qu’après autorisation de l’Inspection du travail. Cette règle est valable pour tout type de rupture du contrat de travail, sauf en cas de démission du salarié. Cette règle est ainsi également applicable en cas de rupture de la période d’essai du salarié licencié et a pour effet de proroger la période d’essai du salarié jusqu’à la décision de l’inspection du travail (CAA Paris,12 mars 2025, n°21PA00844).
En principe, seuls les faits survenus dans le cadre de l'exécution du contrat de travail peuvent justifier le licenciement d'un salarié protégé. Toutefois, des éléments relevant de la vie privée ou des faits liés à l'exercice du mandat de représentant du personnel peuvent, dans certains cas, constituer des exceptions. Si ces faits ne contreviennent pas aux obligations découlant du contrat de travail, le licenciement n'est pas fautif, mais il est justifié si ces faits rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. C'est ce que l'on appelle le « trouble objectif ». L'administration doit rechercher si le salarié protégé exerce un niveau élevé de responsabilité au sein de l'entreprise, afin de pouvoir déterminer si le trouble objectif au fonctionnement de l'entreprise est caractérisé (CE, 20 mai 2025, n° 472070).
La protection accordée implique également de recueillir l’accord du salarié, que ce soit en cas de changement des conditions de travail ou en cas de modification du contrat de travail. Dans le cas d’un salarié dit « ordinaire », seule une modification du contrat de travail, c’est-à-dire une modification portant notamment sur la durée du travail, la rémunération ou le lieu de travail (en l’absence de toute clause de mobilité dans le contrat et à condition que le changement de lieu de travail s’opère dans une zone géographique éloignée du poste actuel) nécessite un accord, un simple changement des conditions de travail pouvant être imposé par l’employeur.
2. Une procédure de rupture du contrat de travail renforcée
La rupture du contrat de travail à durée indéterminée du représentant du personnel est subordonnée à l'accomplissement de différentes étapes : entretien préalable, consultation du CSE si la nature du mandat le requiert, puis présentation d'une demande d'autorisation à l'Inspecteur du travail.
Lorsque le rupture du travail concerne un membre élu à la délégation du personnel au CSE titulaire ou suppléant, un représentant syndical au CSE, un représentant de proximité ou un membre du comité d’entreprise européen, le CSE doit être consulté sur le projet de licenciement avant toute saisine de l’inspection du travail. Cette consultation n’est, en revanche, pas nécessaire pour les délégués syndicaux ou les candidats aux élections professionnelles (CE., avis, 16 mai 2025, n° 498924).
Si l'employeur sollicite l'avis du CSE concernant le licenciement d'un salarié protégé, alors même que cela n’est pas obligatoire, il doit suivre la procédure prévue par les articles R. 2421-8 et suivants du Code du travail. L’inspection du travail, dans le cadre de son contrôle, devra alors vérifier que la procédure de consultation a été correctement menée. Par conséquent, elle ne peut accorder l'autorisation de licenciement que si le comité a pu rendre un avis en toute connaissance de cause, dans des conditions ne biaisant pas la consultation (TA. Melun, 25 févr. 2025, n° 2202763).
À la suite de cette consultation du CSE, l’autorisation de licenciement doit être demandée à l’Inspection du travail. En l’absence de mise à pied à titre conservatoire et si le CSE a été consulté, la demande d’autorisation de licenciement est adressée dans les 15 jours suivant la délibération du CSE.
L’Inspection du travail a deux mois pour rendre sa décision. A défaut de réponse, la demande d’autorisation de licenciement est considérée comme ayant été rejetée.
Aucune notification d’une lettre de licenciement ne peut intervenir avant que l’autorisation de licenciement de l’Inspection du travail n’ait été accordée.
3. L’annulation de l’autorisation de licenciement
Si l’employeur et/ou le représentant du personnel ne sont pas satisfaits de la décision prise par l’Inspection du travail, un recours peut être formé :
- Soit gracieusement devant l’Inspection du travail ;
- Soit hiérarchiquement devant le Ministre du Travail ;
- Soit judiciairement devant le Tribunal
Si le ministre annule la décision de l'Inspecteur qui avait autorisé le licenciement et refuse le licenciement, cette décision enlève sa validité au licenciement. Quid pour l’employeur qui a d’ores et déjà licencié le salarié ?
Le représentant du personnel peut alors demander sa réintégration dans son emploi ou dans un emploi équivalent dans un délai de deux mois à compter du jour où la décision du ministre annulant l'autorisation de l'Inspecteur du travail lui a été notifiée.
En outre, le Conseil d’Étatconsidère que si la décision de l'administration est par la suite annulée, il est possible d'obtenir réparation de l'État des préjudices directs et certains qui en ont résulté (CE, 4 nov. 2020, n° 428198 ; CE, 4 nov. 2020, n° 428741 ; CE, 20 juin 2022, n° 438885).
Ce principe a récemment été rappelé par le Conseil d’Étatdans une décision du 16 juillet 2025 (CE, 16 juill. 2025, n° 469499). Dans cette affaire, l'IGESA, un établissement public sous la tutelle du ministère de la Défense, qui gère le Foyer central des forces françaises en Allemagne, a sollicité l'autorisation de licencier pour motif économique huit salariés protégés.
L'administration parisienne, se déclarant territorialement incompétente, a transféré les demandes à l'inspection du travail de Bastia, où se trouve la direction des ressources humaines de l'IGESA. L'inspectrice du travail a alors délivré les autorisations de licenciement.
Six des huit salariés protégés concernés ont contesté ces décisions devant le tribunal administratif de Bastia, qui les a annulées, jugeant que l'inspectrice du travail corse était territorialement incompétente. Les salariés ont ensuite saisi le conseil de prud'hommes pour obtenir réparation de leurs préjudices. Par six jugements, l'IGESA a été condamnée à leur verser une somme totale de près de 160 000 euros, comprenant l'indemnité « d'éviction » prévue par l'article L. 2422-4 du Code du travail (c'est-à-dire l'indemnité due au salarié protégé en cas d'annulation d'une autorisation de licenciement), ainsi que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
À la suite de cela, l'IGESA a recherché la responsabilité pour faute de l'État afin d'obtenir le remboursement de ces sommes, en invoquant l'illégalité des autorisations de licenciement.
Dans cette affaire, une faute de l’Etat est reconnue. Toutefois, afin d’évaluer la responsabilité de l'État vis-à-vis de l'employeur, il est nécessaire de considérer toute faute éventuelle de ce dernier. Dans ce cas précis, le motif économique n'était pas fondé. Ainsi, les autorisations n'auraient pas pu être légalement délivrées par l'Inspecteur du travail compétent. Par conséquent, la responsabilité est partagée entre l'État et l'employeur.
Finalement, le Conseil d'État juge que l'État n'était responsable du préjudice subi par l'employeur qu'à hauteur de 20 %, et ce malgré la longueur de la procédure (plus de 5 ans).