
25 juillet 2025
Le Québec propose une loi concernant la langue française qui vise les plateformes numérique et leurs contenus
Le 21 mai 2025, le ministre de la Culture et des Communications (le « Ministre ») a présenté le projet de loi no 109 à l’Assemblée Nationale du Québec, Loi affirmant la souveraineté culturelle du Québec et édictant la Loi sur la découvrabilité des contenus culturels francophones dans l’environnement numérique (le « Projet »). Le Projet vise à assurer la découvrabilité des contenus culturels d’expression originale de la langue française, c’est-à-dire les œuvres créées directement en français par des créateurs francophones, notamment les films, les livres, la musique et les balados qui ne sont pas des traductions.<
Le Projet vise l’environnement numérique dans le but de promouvoir ostensiblement une stratégie linguistique cohérente et de renforcer la qualité, l’influence et la visibilité de la langue française, consolidant ainsi la Charte de la langue française laquelle affirme que le français est la seule langue officielle et commune du Québec.
Trois lois seront modifiées par l'adoption potentielle du Projet dont laCharte des droits et libertés de la personne, la Loi sur la justice administrative et la Loi sur le ministère de la Culture et des Communications. Cet article se concentre principalement sur les dispositions touchant les plateformes visées ainsi que sur les sanctions qui pourraient influencer leur fonctionnement ou la manière dont elles diffusent leur contenu.
Reconnaissance constitutionnelle du droit à la découvrabilité et sa mission
Le Projet vise à acquérir un statut quasi constitutionnel puisqu’il propose d’élever ses règles au rang de droit fondamental en intégrant la découvrabilité et l’accès aux contenus visés dans la Charte des droits et libertés de la personne.
Ces changements seront mis en œuvre à travers l’organe intitulé le Bureau de la découvrabilité des contenus culturels (le « Bureau ») qui aura comme mission de superviser et de s’assurer du respect de la loi.
L’objectif déclaré est de promouvoir la facilité d’accès et la visibilité de contenus dans un environnement numérique saturé, en visant à accroître la disponibilité de la culture québécoise sans que le public ait à effectuer de recherches approfondies pour la trouver. En considérant les recommandations du Bureau, le Ministre aura le pouvoir d’adopter des règlements pour faire avancer les objectifs du Projet. Le Projet identifie deux domaines principaux qui seront affectés : les plateformes numériques et les fabricants.
Acteurs visés
Le Ministre prévoit de réglementer les termes et conditions d’accès aux contenus en français rendus disponibles par l’entremise des entreprises médiatiques et de divertissements assujetties au Projet. Les entités suivantes sont soumises à ces obligations :
Plateformes numériques
Une personne ou société qui :
- Offre un service de visionnement de contenu audiovisuel en ligne ;
- Offre un service d’écoute de musique en ligne ;
- Offre un service d’écoute de livre audio ou de balado en ligne ;
- Fournit un accès à de tels services offerts par une tierce plateforme ; et
- Offre des services permettant d’accéder à du contenu culturel en ligne déterminé par règlement du gouvernement.
Fabricants
Fabricants de téléviseurs ou d’appareils qui :
- Sont destinés à être connectés à un téléviseur qui comportent une interface permettant de visionner du contenu audiovisuel en ligne ;
- Fournissent un accès à des services de visionnement de contenu audiovisuel en ligne ;
- Incluent une interface permettant l’accès à du contenu culturel en ligne déterminé par règlement du gouvernement.
Le Projet exclut expressément les plateformes de médias sociaux et les plateformes numériques dont l’objet principal est d’offrir du contenu autochtone.
Exigences pour les acteurs concernés par le Projet
Dans l’éventualité où le Projet serait adopté dans sa forme actuelle, cela signifierait que les acteurs assujettis devront :
- Faire en sorte d’offrir un accès par défaut à une interface en français aux plateformes numériques, téléviseurs ou appareils permettant d’accéder à du contenu culturel en ligne.
- S’assurer que leurs services, à travers l’interface, guide le public vers les plateformes numériques qui répondent aux critères de présence et de découvrabilité de contenu culturel d’expression originale de la langue française.
- Faire en sorte d’offrir un accès aux plateformes numériques désignées par règlement du gouvernement. Ces plateformes doivent offrir majoritairement du contenu culturel d’expression originale de langue française et être exploitées par une personne morale de droit public ou une personne morale sans but lucratif.
- Potentiellement être amenés à respecter des quotas établis par le Ministre. Le Projet permet au Ministre de déterminer la proportion ou la quantité de contenu culturel d’expression originale de langue française devant être priorisé. Il en va de même pour le contenu qui doit être disponible en français ainsi que pour les formats adaptés aux personnes handicapées. Les normes pour les métadonnées pourraient également relever de la réglementation du Ministre.
Registre des plateformes numériques
« Toute plateforme numérique qui répond aux critères déterminés par règlement du gouvernement doit s’enregistrer auprès du ministre. »
Le simple respect des exigences pourrait s’avérer insuffisant. Le Ministre a également l'intention de créer un registre public de toutes les plateformes numériques et fabricants assujettis au Projet. Un préavis de trente jours sera transmis par le Ministre à toute plateforme concernée pour l’informer de son assujettissement à l’enregistrement, en précisant les motifs de cette obligation. La plateforme aura alors trente jours pour contester cette décision par écrit, ce qui déclenchera un processus de réexamen.
Mécanisme de flexibilité envisageable
Dans l’éventualité où le Projet serait adopté, les plateformes pourraient être autorisées à proposer des méthodes de conformité alternatives (mesures de substitution) si elles permettent d’atteindre les objectifs du Projet de manière au moins équivalente. Toutefois, le Projet ne fournit pas de liste des mesures de substitution potentielles. Cette disposition pourrait donc permettre aux plateformes d’être exemptées de certaines exigences, sous réserve de l’approbation du gouvernement. Si l’approbation est accordée, les méthodes de conformité alternatives seront limitées à une durée maximale de cinq ans, après quoi une demande de renouvellement devra être soumise. Si la plateforme ne se conforme pas à une ordonnance, se voit imposer une sanction administrative pécuniaire ou a commis une infraction prévue au Projet ou à ses règlements, le Ministre peut révoquer cette autorisation. Un délai de grâce de trente jours pourrait alors être accordé à la plateforme pour contester cette décision.
Pouvoirs ministériels et sanctions en cas de non-conformité
Le Projet propose l’introduction de mesures visant (1) la surveillance et l’application de ses dispositions (2) les sanctions en cas de non-conformité, comme résumées ci-dessous :
- En vertu du Projet, le Ministre aura l’autorité d’effectuer des inspections et des enquêtes par l'intermédiaire des fonctionnaires du Bureau. Le Ministre peut émettre des ordonnances aux plateformes numériques, fabricants et tierces plateformes lorsqu’ils ne respectent pas leurs obligations. Un préavis de quinze jours devra être envoyé à la partie concernée, exposant les motifs de l’ordonnance et offrant la possibilité de contester. Le Ministre aura également la possibilité de demander à un juge de la Cour supérieure de prononcer une injonction.
- En cas de non-conformité, la plateforme pourra faire l’objet d’une sanction administrative pécuniaire. Avant d’imposer la sanction, le Ministre pourra émettre un avis de non-conformité. La sanction proposée serait de 2 500 $ dans le cas d’une personne physique et de 15 000 $ dans les autres cas. Un délai de trente jours sera accordé pour soumettre une demande écrite de réexamen de la décision. Chaque jour de non-conformité constituera une infraction distincte. Un registre public sera tenu, répertoriant toutes les infractions et sanctions.
- Dans les cas où une plateforme fournit sciemment des documents qu’elle sait faux ou inexacts pendant une inspection ou une enquête, ou entrave ou tente d’entraver le Bureau dans l’exercice de ses fonctions, une amende pourra être imposée. La sanction proposée serait de 2 500 $ à 25 000 $ dans le cas d’une personne physique, et de 15 000 $ à 150 000 $ dans les autres cas. Dans les cas où une personne ou une entité contrevient à une ordonnance, la sanction varierait de 5 000 $ à 50 000 $ dans le cas d’une personne physique, et de 30 000 $ à 300 000 $ dans tous les autres cas. Pour les administrateurs ou dirigeants d’une personne morale, les amendes imposées sont équivalentes au double de celles prévues pour une personne physique. Chaque jour de non-conformité constitue une infraction distincte.
Conformité avec le projet de loi no 96
Adopté en 2022, le projet de loi no 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, a modifié plusieurs dispositions de différentes lois afin de « renforcer » l’utilisation du français (Vous pouvez consulter une de nos publications antérieures sur ce sujet dans la section intitulée Informations connexes ci-dessous). Le projet de loi no 96 a renforcé l’usage du français dans l’administration publique, l’éducation, la justice, le commerce, l’emploi et l’immigration. Cette loi illustre la volonté du gouvernement actuel d’approfondir sa politique linguistique en introduisant une nouvelle législation complémentaire visant à renforcer la présence du français dans l’espace culturel numérique. Le Projet étant encore aux premières étapes du processus législatif, les parties intéressées ont l’occasion de soumettre leurs commentaires et suggestions aux parlementaires. (ici).